Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/77

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— Mais le sport n’est autre chose que la vie, que la vie qui s’affirme et qui se développe ! L’enfant qui crie, qui tend les bras, qui esquisse d’une chaise à l’autre ses premiers pas incertains, l’écolier qui joue aux barres, l’adolescent qui marche en rêvant, sont des apprentis qui s’entraînent. Seulement, je le reconnais, tout cela n’est que préparation et balbutiement. Ce qui constitue le sport, c’est l’acte volontaire et conscient.

— Volontaire et conscient, répéta distraitement Raymonde.

— Je trouve d’ailleurs que cette volonté et cette conscience commencent à s’éveiller un peu partout. Et savez-vous ce que je vois dans cet éveil indiscutable ?

— Non.

— J’y vois, prononça Maxime, interrompant la partie, j’y vois un indice de transformation sociale, oui, un symptôme très clair des temps qui s’approchent.

— Vraiment ?

— Je m’explique. L’homme a toujours travaillé, n’est-ce-pas, et de rude façon. Jamais, depuis le commencement des siècles, il n’a cessé de mettre en jeu sa force musculaire, peinant comme laboureur, comme boulanger, comme fondeur, charpentier, pâtre ou bûcheron. Sur cent individus, la statistique vous dira que quatre-vingt-dix-neuf vivaient de leurs bras et de leurs jambes. Jusqu’à nos jours la presque totalité du capital humain résidait, en dernière analyse, dans le biceps et dans le jarret de l’homme. C’était l’unique valeur, l’étalon-type. Or, remarquez comme tout cela change peu à peu, et combien depuis le développement et le perfectionnement des machines, la force brutale a perdu de son omnipotence, remplacée insensiblement par la force mécanique et dominée de plus en plus par la force cérébrale. Chaque jour, on peut l’affirmer, produit une petite invention, une bielle, un ressort, la connaissance d’un courant magnétique, la domestication d’un élément, quelque chose enfin qui rend inutile la puissance future de tel enfant qui naît à la même heure. Or il arrivera ceci… Vous suivez mon raisonnement ?