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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

LES DISGRACIÉS

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Entre Lucien Darsy et Hervé Jalibert la rivalité s’affirmait chaque jour plus nette et plus ardente : ils aimaient tous deux Geneviève Agérolle, gracieuse créature dont la beauté fière et l’âme très douce les avaient conquis dès la première rencontre.

Et Geneviève était fort embarrassée. Elle le leur avait dit naïvement :

— Comment voulez-vous que je me décide ? Si encore vous aviez entre vous quelque point semblable, je pourrais comparer. Mais vous différez en tout. Vous, Lucien, vous ne vivez que par le cerveau, vous Hervé, presque toutes vos heures, sont consacrées à l’exercice, au culte de la force. Qu’est-ce que j’aime le mieux, moi, de la vie intérieure et des occupations de l’esprit, ou bien de la vie active et violente ? Je ne sais pas. Et tant d’autres choses vous divisent, physiquement et moralement !

Et elle ajoutait en riant :

— Ah ! vous devriez bien ne faire qu’un à vous deux ! Je n’hésiterais pas une heure à vous épouser.

Lucien et Hervé ne pouvant pas ne faire qu’un commençaient à se détester cordialement, et les relations devenaient assez difficiles.

En réalité, il devait bien y avoir au fond du cœur de Geneviève une préférence secrète. L’indécision absolue n’est pas possible. On penche toujours, si peu que ce soit, d’un côté où de l’autre. Elle-même s’en rendait compte sans pouvoir déterminer de quel côté elle penchait. Et Lucien et Hervé n’en doutaient pas non plus, bien qu’ils fussent incapables de discerner davantage ce qui se passait en Geneviève.