Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/95

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Lucien qu’un amour profond disposait à l’humilité ne pouvait s’imaginer qu’il l’emportait sur son rival. Il regardait dans les miroirs son teint trop pâle et ses yeux fatigués par les veilles, et songeait à sa taille exiguë, à ses poumons insuffisants et à l’usure précoce de son corps.

Hervé, plus vaniteux et plus sûr de lui, avait cependant l’intuition de son infériorité intellectuelle. Il ne pouvait suivre Geneviève et Lucien dans les conversations qu’ils tenaient parfois, il lui semblait que celle qu’il aimait vivait en un monde de pensées où il lui était interdit, à lui, de pénétrer, et cela le décourageait.

Et puis, tous deux aussi, par moments, se reprenaient à l’espoir, l’un oubliant de sa noblesse morale, l’autre débordant de vigueur et d’énergie.

Choisissez vous-mêmes, disait Geneviève, moi, j y renonce.

— Comment, choisir ? Mais c’est demander à l’un de nous de se sacrifier.

— De se sacrifier à mon bonheur, oui, et c’est bien cela que je demande. Vous m’aimez tous les deux, et j’en aime un davantage, ou je suis destinée à l’aimer ; faites la lumière en mon cœur. Que votre amour vous indique vers qui va mon amour et auprès de qui je trouverai le plus de bonheur.

Ils approuvaient sans conviction, et nulle envie héroïque ne les soulevait.

Il semblait à chacun d’eux que le sacrifice qu’on lui demandait profiterait beaucoup plus au bonheur de son rival qu’au bonheur de Geneviève. Et cela ils ne l’admettaient point.

Tout un été se passa de la sorte, au, bord de la mer. En septembre on se sépara.

Aucune résolution n’avait été prise et rien ne faisait prévoir qu’il en pût être autrement.