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— Parce que je le sais.

— Ah !

— Vous êtes celui que j’attendais.

— Moi ?

— Oui, sire.


III


— Silence ! dit vivement l’étranger. Ne prononcez pas ce mot-là.

— Comment dois-je appeler Votre… ?

— D’aucun nom.

Ils se turent tous les deux, et ce moment de répit n’était pas de ceux qui précèdent la lutte de deux adversaires prêts à combattre. L’étranger allait et venait en maître qui a coutume de commander et d’être obéi. Lupin, immobile, n’avait plus son attitude ordinaire de provocation, ni son sourire d’ironie. Il attendait, grave et déférent. Mais au fond de son être, ardemment, follement, il jouissait de la situation prodigieuse où il se trouvait, là, dans cette cellule de prisonnier, lui, détenu ; lui, l’aventurier ; lui, l’escroc et le cambrioleur ; lui, Arsène Lupin… et, en face de lui, ce demi-dieu du monde moderne, entité formidable, héritier de César et de Charlemagne !

Sa propre puissance le grisa un moment. Il eut des larmes aux yeux en songeant a son triomphe.

L’étranger s’arrêta.

Et, tout de suite, dès la première phase, on fut au cœur de la position.

— C’est demain le vingt-deux août. Les lettres doivent être publiées, n’est-ce pas ?

— Cette nuit même, dans deux heures, mes amis doivent déposer au Grand Journal non pas encore les lettres, mais la liste exacte de ces lettres, annotée par le grand-duc Hermann.

— Cette liste ne sera pas déposée.

— Elle ne le sera pas.

— Vous me la remettrez.

— Elle sera remise entre les main de Votre… entre vos mains.

— Toutes les lettres également.

— Toutes les lettres également.