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bonhomme. Pas de regrets ? Des regrets ? Et pourquoi, mon Dieu ! Ma vie fut magnifique. Ah ! Dolorès ! Dolorès ! si tu n’étais pas venue, monstre abominable ! Et toi, Massier, pourquoi n’as-tu pas parlé ?… Et toi, Pierre Leduc… Assez de paroles ! Me voici !… Mes trois morts, je vais vous rejoindre… Oh ! ma Geneviève, ma chère Geneviève… Est-ce fini, vieux cabot ? Voilà, j’accours.

Il passa l’autre jambe, regarda au fond du gouffre la mer immobile et sombre et relevant la tête :

— Adieu, nature immortelle et bénie ! Moriturus te salutat ! Adieu, Tout ce qui est beau ! Adieu, splendeur des choses ! Adieu, la vie !

Il jeta des baisers à l’espace, au ciel, au soleil… Et, croisant les bras, il sauta.


II


Alger. La caserne de la légion étrangère. Près de la salle des rapports, une petite pièce basse où un adjudant fume et lit son journal.

À côté de lui, prés de la fenêtre ouverte sur la cour, deux grands diables de sous-offs jargonnent un français rauque, mêlé d’expressions germaniques.

La porte s’ouvrit. Quelqu’un entra. C’était un homme mince, de taille moyenne, élégamment vêtu.

L’adjudant se lava, de mauvaise humeur contre l’intrus, et grogna :

— Ah ! çà, que fiche donc le planton de garde ?… Et vous, monsieur, que voulez-vous ?

— Du service.

Cela fut dit .nettement, impérieusement.

Les deux sous-offs eurent, un rire niais. L’homme les regarda de travers.

— En deux mots, vous voulez vous engager dans la légion ? demanda l’adjudant.