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— Mais il dort, le serviteur modèle, hein ! mon cher… qu’en dites-vous ? Il dort si bien que son prisonnier a pu s’évanouir comme un songe. Bonsoir la compagnie.

Et il ajouta, d’un air subitement grave :

— Il est regrettable, monsieur Lenormand, que vous n’ayez pas pris des mesures plus sérieuses.

Le chef n’écoutait pas. Silencieux, fouillant de son regard aigu tous les coins de la pièce, il torturait de ses doigts crispés le pommeau de sa canne.

Il alla vers le lit et l’examina, Puis il alla vers la fenêtre. Elle était fermée. Du reste elle donnait sur une cour intérieure sans issue.

— Tout de même, déclara M. Formerie, cela tient du miracle.

— Il n’y a pas de miracle.

— Fichtre ! c’en est un que de venir dans une chambre parfaitement close et d’enlever un malade sans être entendu de l’agent qui le garde.

— Gourel a été endormi à l’aide d’un narcotique.

— Je le vois parbleu bien ! mais il a fallu pour cela qu’on le lui donnât, ce narcotique ? Par où est-on entré ? et, je le répète, par où est-il sorti ?… On n’emporte pas un malade à travers des murs… Il y aurait dés traces, quelque chose… Il n’y a rien… moi, j’appelle ça un miracle.

Une heure après, Gourel se réveilla. Sa mémoire n’avait gardé aucun souvenir précis. Il se rappela cependant avoir bu l’eau d’une carafe qui se trouvait sur la table de nuit, parmi les fioles pharmaceutiques.

On chercha la carafe, le verre dont il s’était servi. On ne les découvrit point.

Les vêtements du malade n’étaient plus là non plus.

Mais, épinglée au mur, il y avait une lettre, cette fameuse lettre d’Arsène Lupin que les journaux reproduisirent le jour même, et qui eut un tel retentissement dans le monde entier.


Lettre ouverte à M. Lenormand, chef de la Sûreté

« Cher monsieur Lenormand,

» Tout est à recommencer.

» Je m’explique et brièvement, selon mon habitude.

» Le 16 avril, un individu (remarquez bien ce mot : un individu) pénétra avec l’un de ses complices chez M. Kesselbach et lui extorqua la clef et le mot de son coffre-fort. Le lendemain, on trouvait M. Kesselbach poignardé, et ce premier assassinat était suivi de deux autres.

» Sur la foi d’une carte laissée à dessein par l’individu, 1° on attribua le cambrio-