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ARSÈNE LUPIN

Le Duc. — Et à la Sûreté ?

Le Commissaire, souriant. — La Sûreté est un des services de la Préfecture.

Le Duc. — Ah ! je ne savais pas… Vous ne voyez pas d’inconvénients à ce que de mon côté je téléphone à Guerchard ?

Le Commissaire. — L’inspecteur principal ?

Le Duc. — Oui, mon futur beau-père m’en avait prié. (Cherchant dans l’annuaire.) Guerchard… Guerchard…

Le Commissaire. — 673-45.

Le Duc. — Merci. (Téléphonant.) Allô, 673-45. Alors, vous ne croyez pas que Lupin soit l’auteur du vol ?

Le Commissaire. — Non… et d’ailleurs j’espère bien que non.

Le Duc. — Pourquoi ?

Le Commissaire. — Parce que si, par malheur, c’était Lupin, je craindrais fort qu’on ne retrouve pas la piste de ce gaillard-là.

Le Duc, au téléphone. — Pas libre ? Veuillez me resonner, mademoiselle. Et qui est-ce qui vous fait croire que ce n’est pas Lupin ?

Le Commissaire. — Lupin ne laisse pas de traces et ces traces-là sont très grossières.

Le Duc. — Mais la lettre qu’a reçue hier soir mon futur beau-père ? Et ces signatures à la craie bleue ? À la craie bleue, car c’est de la craie de savon.

Le Commissaire. — Oh ! monsieur le duc, ça peut être imité. Un moyen pour dépister les soupçons. Voilà trois fois qu’on nous fait le coup.

L’Agent, entrant avec le serrurier. — C’est fini, monsieur le commissaire, nous avons ouvert toutes les portes.

Le Commissaire, au serrurier. — Et vous les avez refermées ?

Le Serrurier. — Voici les clefs.

Le Duc. — Les serrures des portes qui étaient fermées à clef vous ont-elles paru intactes ?

Le Serrurier. — À moins qu’on ait eu des clefs de rechange, je réponds qu’on n’y a pas touché.

Le Duc. — Donc il n’y a rien de fracturé !

Le Serrurier. — Rien.

Le Duc. — Bizarre ! En tout cas les cambrioleurs connaissaient la place. Ils semblent n’avoir pénétré que dans les parties de l’hôtel où ils étaient sûrs de trouver des objets de prix.

Le Commissaire, congédiant le serrurier. — Bon !

L’agent et le serrurier se retirent.

Le Duc. — Je vous demande pardon… quel est encore le numéro de Guerchard ?

Le Commissaire. — 673-45.

Le Duc, prenant l’appareil. — Merci… 673-45. Guerchard va être stupéfait quand il saura… Allô ! Je suis chez M. Guerchard ? M. Guerchard lui-même ? Le duc de Charmerace. On a cambriolé l’hôtel de mon futur beau-père. Hein ! Comment ?… Vous saviez déjà… ? Vous vous prépariez à venir ? Ah ! mais… parfait… Oui… le nom de Lupin, mais le commissaire a des doutes… Je vous en prie, n’est-ce pas ?

Il remet le récepteur.

L’Agent, annonçant. — M. le juge d’instruction va monter.

Le Commissaire. — Le juge d’instruction, c’est M. Formery.

Le Duc. — Oui, c’est un juge d’instruction remarquable, paraît-il.

Le Commissaire, étonné. — On vous a dit qu’il était remarquable ?

Le Duc. — Il ne l’est pas ?

Le Commissaire. — Si… si… Seulement, jusqu’ici, il n’a pas eu beaucoup de veine ; chacune de ses instructions s’est transformée en erreur judiciaire ; tenez, le voici.

Le juge entre très important et très affairé.

Le Commissaire, présentant. — Monsieur le duc de Charmerace.

Le Juge. — Monsieur le duc, je suis désolé, je suis tout à fait désolé. Fichtre, le volet brisé ! Ah ! ah ! (Comme s’il faisait une découverte imprévue.) On est entré et sorti par là.

Le Duc. — Oui, c’est certain.

Le Juge, regardant autour de lui. — Hein, on vous a bien dévalisé, monsieur le duc… Tst… Tst… Oui, c’est bien ce que vous m’avez écrit, commissaire. Arsène Lupin, pss… (À part, au commissaire.) Ça va recommencer alors, cette plaisanterie.

Le Commissaire. — Je crois que cette fois, monsieur le juge, plaisanterie est le mot, car c’est un cambriolage pur et simple… escalade… effraction…

Le Juge, allant vers la fenêtre puis vers le coffre-fort. — Souhaitons-le… Oui, en effet, les traces sont trop grossières. On n’a pas touché au coffre-fort, à ce que je vois.

Le Duc. — Non, heureusement. C’est là, je crois, du moins ma fiancée le croit, que mon beau-père enferme la pièce la plus précieuse de sa collection… un diadème.

Le Juge. — Son fameux diadème de la princesse de Lamballe ?

Le Duc. — En effet.

Le Juge. — Mais d’après votre rapport, commissaire, la lettre signée Lupin annonçait pourtant ce vol-là ?

Le Duc. — Formellement.

Le Commissaire. — C’est une preuve de plus, monsieur le juge, que nous n’avons pas affaire à Lupin. Ce bandit-là aurait mis sa menace à exécution.

Le Juge, au duc. — Qui donc gardait la maison ?

Le Duc. — Les deux concierges et une femme de charge.

Le Juge. — Oui, pour les deux concierges, je sais, je les ai interrogés tout à l’heure. Vous les avez trouvés ficelés et bâillonnés dans leur loge ?

Le Commissaire. — Oui, monsieur le juge, et toujours l’imitation de Lupin… bâillon jaune, corde bleue et, sur un bout de carton, cette devise : « Je prends, donc je suis. »

Le Juge, à part, au commissaire. — On va encore se payer notre tête dans les journaux. Ah ! je voudrais bien voir la femme de charge… où est-elle ?

Le Commissaire. — C’est que, monsieur le juge…

Le Juge. — Quoi ?

Le Duc — Nous ne savons pas où elle est.

Le Juge. — Comment vous ne savez pas ?

Le Duc — Non, nous ne l’avons trouvée nulle part.

Le Juge, vivement. — Mais, c’est excellent, ça, c’est excellent !… Nous tenons un complice.

Le Duc — Oh ! je ne crois pas… Tout au moins mon futur beau-père et ma fiancée avaient en elle la plus grande confiance… Hier encore, Victoire nous téléphonait au château, elle avait la garde de tous les bijoux.

Le Juge. — Eh bien, ces bijoux, ils ont été volés, cambriolés ?

Le Duc — On n’y a pas touché. On n’a cambriolé que les deux salons et cette pièce-ci.

Le Juge, au duc. — Ça, c’est très embêtant.