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tère, je lus un article sur la charité privée. Les vrais pauvres, paraît-il, sont trop soucieux de leur dignité pour tendre la main. Ceux qui nous poursuivent sont de faux mendiants. Ils s’enivrent avec notre offrande. Méfions-nous sur tout des messieurs correctement habillés qui traversent une gêne passagère et qu’une pièce de quarante sous sauverait du déshonneur. En fait, il ne faut jamais donner si l’on ne veut être la dupe d’un intrigant.

Je tirai ma montre, elle marquait dix heures. Les passants devenaient rares, on se couche tôt à Berlin. Je me disposais à partir, quand je fus frappé par le manège d’un jeune homme. Visiblement il affectait d’aller et venir devant moi. Et chaque fois, il m’examinait bien en face, avec insistance, comme s’il m’eût connu. Il était tout jeune, avait un chapeau mou posé sur le coin de l’oreille, des moustaches naissantes, des cheveux bouclés, des yeux beaux et tristes.

Agacé, je repris le journal et relus le même article, machinalement d’abord, puis attentivement. Je trouvais cela très vrai. La chose imprimée nous emplit de respect. Elle nous impose des