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— Non, je ne suis pas fou, et vous devez vous garder contre moi. L’échafaud, le bagne, peu importe ! Ce qu’il faut, c’est me mettre hors d’état de vous nuire. Car, sachez-le, ce que j’ai fait, je le recommencerai si j’en ai l’occasion. J’ai tué parce qu’il faut que je tue, que ma nature le veut, que mes instincts l’exigent, que ma main désire tuer. Depuis mon enfance, ce besoin me torture.C’est une monstrueuse obsession. Cent fois des gens qui ne s’en doutent pas ont échappé à mes coups, des camarades de collège, des amis de jeunesse, des passants. Je parvenais à me vaincre. Mais, l’autre jour, je n’ai pas pu. Nous causions, ma fiancée et moi, au coin du feu. Elle me tendit un petit poignard dont on lui avait fait présent. Je pris le poignard et, sans un mot, je la tuai. La mère accourut, puis la sœur, et je les tuai. Et je ne me suis pas contenté de les tuer, je les ai frappées interminablement, avec fureur, avec joie. Et maintenant que j’ai vu, que j’ai respiré du sang, je sais, je sais de façon précise que j’en répandrai, qu’il m’en faudra répandre, dès que cela me sera possible. La raison, la voici :

Il y a vingt-huit ans, dans un des cabarets à la mode, une bande de femmes et de jeunes gens soupaient. On s’ennuyait profondément. Les conversa-