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tantes et aussi pures.

Or un jour, en une minute de folie, sans un mot qui pût mettre Louise en garde, il s’abattit brusquement sur elle, déchira son corsage, et, à pleines mains, il empoigna la grosse poitrine débordante.

Suffoquée d’abord, elle ne bougeait point, comme paralysée. Puis soudain, elle se dégagea. Il s’enfuit.

Elle a prononcé ses vœux. Au fond d’un cloître, sous la robe de bure, Louise, en religion sœur Prudence, a enseveli sa gorge inconvenante. Mais elle n’a point abdiqué sa haine contre elle, cette partie polluée de son être. En guise de corset, elle porte un cilice, étroitement adapté à ses formes. Parfois le sang coule d’où n’aurait du couler que le lait maternel.

Heureuse ? Non. La raison de sa détresse est toujours là, vivace et triomphante. L’ennemie tend les vêtements grossiers, comme elle crevait les étoiles de soie. Pour s’agenouiller, pour frapper du front les dalles de sa cellule, sœur Prudence ne sait où placer son fardeau. Il lui faut écarter les bras de son corps, et pour marcher, porter le buste en arrière. Tout lui rappelle le fléau de sa vie.

Et puis, elle n’est pas comme elle l’espérait, à l’abri du regard qui outrage. Souvent elle s’aperçoit que les yeux de quelque compagne scrutent le gonflement prodigieux de sa robe. Et la supérieure la traite avec dureté, comme si elle avait contre elle un motif de mécontentement. Alors une angoisse l’étreint. Avait-elle le droit de profaner la sainte maison ? N’est-elle pas une cause de scandale ? Elle passe des nuits à sangloter. Mais partout, toujours, jusque sur les marches de l’autel son obsession la poursuit. Il lui semble que sa gorge est une insulte à Dieu. Et elle n’ose plus prier, car la prière attirerait l’attention du Seigneur sur sa poitrine sacrilège.