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LE CONSOLATEUR



En quelques années, il perdit sa mère et ses deux enfants. Sa femme le trahit. Sa fortune s’écroula, et ses amis l’abandonnèrent.

Haineux et meurtri, il se réfugia loin des villes et vécut seul. Pour se distraire, il tenta de lire, d’écrire, de chasser, de labourer les champs ou de fendre les grands arbres ; mais rien n’atténuait son désespoir. Et il eut des envies de suicide.

Un jour de neige, une mendiante parvint à franchir le seuil de sa demeure.

— J’ai froid, gémit-elle.

— Travaille, grogna-t-il.

Montrant ses deux bras, elle dit :

— Je n’ai jamais eu de mains.

L’excès de cette misère l’émut d’agréable sorte. Il fit longtemps causer la femme sur ses privations et ses fatigues.

Puis il la chassa sans lui donner l’aumône, et cette méchanceté le réjouit.

Dès lors, il courut les campagnes avec le désir inconscient de retrouver la même sensation. Les infirmes y foisonnent : les boiteux, les paralytiques, les aveugles, les malades. Il marcha vers eux.

— D’où vous vient cette plaie ? N’est-elle point inguérissable ?

Le patient se lamentait au son de cette voix compatissante. Lui, les plaintes le berçaient, comme une musique