Page:Leblanc - Ceux qui souffrent, recueil de nouvelles reconstitué par les journaux de 1892 à 1894.pdf/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tes se perdirent dans l’épaisseur des sourcils, de son sourcil gauche à lui, du sourcil droit de l’autre.

Il constatait cette différence, quand il avisa chez l’inconnu une agitation fébrile de la mâchoire ! Le malheureux, ses dents claquaient. Au même moment il remarqua que ses dents aussi s’entre choquaient avec une rapidité vertigineuse.

Son effroi redoubla. Il eut peur de sa propre peur, et, peur en outre de l’atroce peur dont il était témoin. Il se mit à trembler de tous ses membres. Son corps tressautait, comme un objet ébranlé par une trépidation. Derrière lui il devinait la danse éperdue de ses jambes, et il s’aperçut que l’homme tressaillait du même frisson mystérieux.

Dans le silence ce fut un bruit bizarre de pieds qui tapotaient le parquet et de dents surtout, de dents qui résonnaient comme un jeu d’osselets secoués sans répit les uns contre les autres.

À la fin, ce vacarme, qu’il distinguait nettement, lui devint intolérable. Il fallait le rompre à tout prix ! Des paroles fortes peut-être l’aboliraient comme certains mots détruisent les sortilèges.

Il ouvrit la bouche. L’autre l’ouvrit comme lui. Une terreur le glaça. Qu’allait-il dire, l’autre ? Mais rien ne sortant de ces lèvres, il articula très haut :

— Qui êtes-vous ?

Au même instant, l’autre proféra la même question, et de telle manière que les syllabes se confondirent et ne formè-