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FERNANDE



Il aimait sa femme éperdûment. Or, la troisième année de leur mariage, elle mourut. La douleur fut si violente que son cerveau s’en ressentit.

Il en eut l’intuition. Pensant que la solitude et l’exercice lui seraient favorables, il ferma son atelier et se réfugia dans sa maison de campagne, avec son domestique, un vieux serviteur qui l’avait vu naître.

Là, pour se surveiller de près, il rédigea des notes sur son état d’âme. Les premiers mois, elles sont minutieuses, longues, imprégnées certes de souffrance, mais logiques et raisonnables. Ce n’est qu’à la suite d’un incident banal qu’elles deviennent plus courtes, haletantes, incomplètes, souvent obscures. Des pages manquent. Des lignes sont effacées.

Plus tard, l’équilibre rétabli, il m’a donné ces notes. Voici celles qui concernent la crise étrange par où passa le malheureux.


… Mon existence est organisée d’une façon définitive. Elle me plaît. Dehors, j’erre au hasard, ou je chasse, sans repos, jusqu’à ce que mes jambes refusent de me porter. À peine rentré, je m’enferme avec ma chère morte dans la chambre nuptiale. J’en ai fait le sanctuaire de notre amour. Personne n’y pénètre que moi. J’y ai rassemblé tout ce qui me rappelle Fernande, ses robes, ses bijoux, ses ouvrages, ses parfums, les