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LE SECRET



… Ma plus grande joie consiste à m’emparer du secret d’autrui.

Ce n’est pas à proprement parler de la curiosité. Ce n’est pas non plus un intérêt de psychologue avide de se renseigner sur l’âme humaine. Non, c’est une occupation.

Personnellement, je n’éprouve nul plaisir à m’examiner. Je me juge ennuyeux et banal. Jamais je ne pense à moi. Quel vide dans mon existence si je ne remplaçais pas cet aliment ordinaire de notre cerveau par quelque nourriture équivalente ! Mes semblables me la fournissent.

Il est rare qu’un individu soit en état parfait d’insouciance. La règle est la douleur ou la joie. Or cette douleur ou cette joie se manifestent par des signes extérieurs. Ces signes, je les épie. Dans la rue, dans le monde, au bal, au théâtre, je suis à l’affût. Je scrute les visages, je flaire les mélancolies, je remarque les gaietés. Un rien m’est un indice précieux. Un geste, un sourire, une attitude, une intonation me guident. J’ai de la sorte acquis une virtuosité prodigieuse.

Cette tendance est d’ailleurs générale qui nous pousse vers des inconnus. Nous voudrions nous mêler à leur vie, ap-