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Ma fantaisie satisfaite, je rejette mon jouet, sans scrupule, comme on se dé barrasse d’une peau d’orange que l’on a pressée, pétrie, vidée. Et je me remets en route.

Est-il rien de plus passionnant et de plus varié ?


… J’ai choisi comme sujet, pour agrémenter ma saison d’hiver à Nice, une jeune fille, une enfant presque. Chaque matin je la croise sur la Promenade des Anglais, en compagnie d’une dame, sa mère sans doute. La figure est jolie, la bouche bien dessinée, les lèvres rouges, mais ce qui la distingue, à mon avis, c’est l’expression triste de ses yeux noirs.

Elle passe inaperçue. Les aveugles ! Ce sont pourtant choses évidentes que le désespoir de ces yeux, leur résignation, leur lassitude, leur désintéressement des spectacles d’alentour. En vérité ces yeux ne voient pas, ils pensent. Quel drame a pu priver de regard ces prunelles sombres ? Les chagrins des enfants sont plus pitoyables que les nôtres. Oh ! les palpitantes minutes que je prévois !


… Elle s’appelle Marthe. Sa mère, madame Astrado, est veuve et, dit-on, de conduite facile. On ne sait d’où elles viennent. Elles vivent un peu partout, selon l’époque.


… Présenté, je suis admis aux soirées de madame Astrado. J’y fus hier. Les invités formaient de petits groupes. Auprès de la maîtresse de maison, les hommes se relayaient, et à chacun elle parlait confidentiellement. Tous ces gens semblaient s’amuser beaucoup.

J’en éprouvai quelque gêne. Heureusement madame Astrado fit venir sa