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Le Soldat blessé



Vers minuit, on vint frapper à la porte de la petite cellule qu’Yvonne Dalbrecq occupait au troisième étage de l’hôpital.

— Vite ! vite ! madame Yvonne, un convoi de blessés qui arrive !

Elle ne dormait pas. Bien qu’à bout de forces au soir de ses longues journées d’infirmière, si laborieuses et si émouvantes, elle avait encore des insomnies où l’assiégeaient tous les mauvais souvenirs de sa vie brisée, les trahisons de son mari, les pardons inutiles, les humiliations, et puis, après vingt ans de martyre, la fuite de l’infidèle, de l’infidèle aux cheveux gris qui s’éprenait bêtement d’une fille quelconque.

Depuis six mois c’était fini. Au cœur d’Yvonne il n’y a plus d’amour pour celui qu’elle méprise. Elle ne souffre même plus. Mais parfois, durant les heures où l’on s’oublie à remuer le passé, quel goût d’amertume lui montait aux lèvres !

— Allons, dit-elle en s’habillant, un peu de fatigue encore. Tant mieux !

Sous sa blouse d’infirmière, coiffée du bonnet qui encadrait si joliment son doux visage à peine touché par la souffrance, elle descendit dans les anciens parloirs du rez-de-chaussée que l’on avait transformés en lavabos. L’un d’eux lui était réservé. Une demi-douzaine de soldats s’y trouvaient déjà, étendus sur des matelas, et les deux infirmiers de service commençaient à les dévêtir et à les laver, avant qu’ils ne fussent conduits dans les salles de visite.