Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/103

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boudoir où la veille, à minuit, elle avait reçu cet homme. Elle ne pouvait plus rester dans l’inaction. Elle avait besoin de sortir de retrouver la vie extérieure. Elle avait surtout l’ardent désir d’apprendre peut-être quelque chose. Les journaux du soir allaient bientôt paraître. Sans doute parleraient-ils du crime…

Elle quitta, presque avec répulsion, sa robe de la veille, cette robe blanche que toute la nuit, à Enghien, ici, puis là-bas, dans la Pension Russe… durant tant d’heures aux émotions diverses, elle avait portée. Elle revêtit un tailleur strict et sombre et, un peu après trois heures, par sa sortie particulière, elle redescendit.

L’après-midi était d’une douceur légère, mais elle n’en put goûter le charme, trop absorbée par ses préoccupations opprimantes. Elle marchait vite le long de l’avenue, vers l’Alma. Sur la place, elle vit dans un kiosque, affiché, un journal du soir qui venait d’arriver.

Sur deux colonnes, en grosses lettres, ce titre :

M. Baratof
qui fit don de cinq millions
à la Maison des Laboratoires
a été assassiné


Frémissante, elle acheta le journal, parcourut l’article, et tressaillit profondément en lisant ces lignes :

« On a arrêté un ami de M. Baratof, un jeune homme, nommé Gérard. Il a été amené au Nouveau-Palace en présence de M. Lissenay, juge d’instruction. Les charges qui pèsent sur lui sont accablantes. Il est prouvé… »

Elle lut jusqu’au bout le résumé, succinct d’ailleurs, vu l’heure d’impression du journal, de l’enquête faite par M. Lissenay. Un moment, elle resta immobile, réfléchissant. Puis elle eut un geste de décision, arrêta un taxi, et, sans trop savoir ce qu’elle faisait, mais, dans un besoin irrésistible d’action et de lutte, elle donna l’adresse du Nouveau-Palace.

Là, ayant interrogé, elle apprit que l’enquête se poursuivait dans l’appartement du Russe. Sur sa demande, on la conduisit près d’un agent de police qui était de garde. Elle écrivit quelques mots sur un bout de papier. On vint la chercher au bout d’un instant. Qu’allait-elle dire ? À quel mobile obéissait-elle ? Quelle force implacable la contraignait à se jeter elle-même au cours de la bataille ? Elle n’en savait rien.


Dans le salon, théâtre du crime, où se trouvaient le juge d’instruction, l’inspecteur Nantas et Gérard, Nelly-Rose entra, toute défaillante, mais résolue et en apparence calme.

Gérard était debout devant elle, pâle et secoué par une violente émotion.

— Non ! non ! cria-t-il d’une voix agitée. Monsieur le juge, il n’y a aucune raison pour que mademoiselle soit ici !… Aucune raison pour qu’elle dépose ! Je proteste d’avance contre ses déclarations !

— Veuillez garder le silence et demeurer tranquille, lui dit le juge durement.

Et, à Nelly-Rose :

— Voulez-vous prendre la peine de vous asseoir, mademoiselle ?

Mais Gérard ne cédait pas :

— Je proteste, monsieur le juge d’instruction. Il y a là, de la part de la justice, une manœuvre contre laquelle je m’insurge de toutes mes forces.

— Quelle manœuvre ? Mademoiselle est venue spontanément. Voici le texte de sa demande : « Nelly-Rose Destol, à qui fut adressé le chèque de cinq millions signé Ivan Baratof. Communication urgente. »

Gérard insista :

— Mais cela n’a rien à voir avec l’affaire pour laquelle je suis convoqué. Je ne connais pas mademoiselle.

Le juge se tourna vers la jeune fille :

— Vous ne connaissez pas monsieur, mademoiselle ?

Elle répliqua nettement :

— Si, monsieur le juge d’instruction.

— Et il vous connaît ?

— Il me connaît.

— Vous voyez donc, monsieur, que vos affirmations sont, une fois de plus, démenties par les faits.