Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/115

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muniquer. L’un et l’autre en comprenaient en même temps l’intérêt ou la vanité. Les difficultés de l’enquête provenaient de la façon d’agir, fort louche, mais fort habile, du garçon d’étage. Manuel n’était jamais de service, au Nouveau-Palace, que la nuit. À dix heures du matin, il sortait et rentrait à cinq heures du soir. Or, malgré l’extraordinaire expérience de Nantas et de ses agents dans les filatures, le garçon d’étage, Manuel, qui se méfiait, bien que ne se sachant pas poursuivi, arrivait toujours à dépister la meute des limiers.

Où allait-il ? Que faisait-il ? Ce n’est que le troisième jour qu’un résultat fut obtenu.

— Maintenant, mon vieux Gérard, dit Nantas dans le bar voisin du Nouveau-Palace où ils se trouvaient, nous pouvons marcher. 1o un client qui n’a rien à se reprocher ne se défile pas de la sorte ; 2o nous savons, par un bout de conversation entendue, que le sieur Manuel fait partie d’une bande, qu’il y a eu des vols commis dans l’hôtel depuis qu’il y est employé, et qu’un des recéleurs de la bande est un type qui demeure dans les environs de la rue d’Aboukir et qui, justement, vient de se défaire, pour une bouchée de pain, d’un lot de bijoux russes. Ça me suffit. Je cours chercher un mandat contre notre homme. Il vit à l’hôtel. À six heures, avant la nuit, nous montons dans sa chambre. D’ici là…

— D’ici là ?

— Ouvre l’œil… Bon, voilà que je tutoie. Tu m’en veux pas ?… Quand on travaille ensemble… Mais faut pas qu’il s’esbigne, hein ?


Les événements se déroulèrent autrement que ne l’avait prévu Nantas, et d’une façon beaucoup plus rapide.

Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées depuis le départ de Nantas, que Gérard vit surgir du Nouveau-Palace, par la sortie réservée au personnel, un homme jeune, de petite taille, en qui il reconnut le garçon d’étage. Il portait deux valises, et, tout de suite, héla un taxi qui passait.

Gérard songea aussitôt, employant l’expression de Nantas :

— Il s’esbigne. Si je ne m’en mêle pas, adieu.

Il courut sur le trottoir opposé. Manuel avait placé ses deux valises et montait dans l’auto en jetant au chauffeur :

— Gare du Nord.

— À la Préfecture de police, 36, quai des Orfèvres, ordonna Gérard qui, bousculant le garçon d’étage, sautait près de lui, refermait la portière, saisissait de sa main droite le poignet de l’homme et le tordait.

Manuel cria de douleur et voulut se débattre.

— Pas un geste, commanda Gérard. Si tu bouges, si tu essaies de descendre, je te casse le bras.

La voix était si impérieuse, l’étreinte si violente que Manuel demeura inerte. Il voulut parler, protester, Gérard le rembarra :

— Pas un mot ! Inutile. Tu t’expliqueras à la Sûreté.

Un quart d’heure plus tard, quand ils arrivèrent à la Sûreté, et que Gérard eut remis entre les mains de Nantas le garçon d’étage, celui-ci se trouvait dans un tel état de prostration que, de lui-même, avant même d’être interrogé, il bredouilla :

— Ben oui, c’est moi. Je savais que le Russe avait des valeurs et des bijoux. Alors j’ai tenté le coup et quand celui-là (il désignait Gérard) fut parti je suis entré, je comptais trouver Baratof endormi dans la seconde pièce. Il était debout dans la première, il avait, aux poignets et aux chevilles, des courroies qui pendaient… et il était en train d’enlever une serviette qui le bâillonnait. Il a compris pourquoi je venais… Il m’a sauté dessus. Nous nous sommes battus… il a été le plus fort… J’étais par terre… lui, sur moi, qui m’écrasait… Alors, dame, je ne sais pas trop comment ça s’est fait… Mais j’avais pas l’intention de jouer du couteau quand je suis entré… Je voulais seulement le dévaliser… Quand j’ai vu qu’il était mort, j’ai fouillé son portefeuille, ses valises… j’ai enlevé les courroies de ses poignets, pour que ça n’ait pas l’air drôle qu’on l’ait attaché avant de l’égorger… Vous comprenez, le coup était sûr, il s’était battu avec son ami, on les avait entendus… Donc, l’assassinat…