Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/117

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d’elle, dans la petite ferme qu’elle faisait valoir elle-même depuis la mort de son mari, il trouverait, une fois de plus, le repos pacifiant.

Et il songeait aussi, il songeait surtout à Nelly-Rose.



V

Je vous attendais


— Mon Dieu ! c’est affreux, cette incertitude, gémit Mme Destol. Mon bon Valnais, c’est affreux… Pourquoi est-elle partie ? Va-t-elle revenir comme elle le dit dans son pneumatique ? Elle prétend qu’elle a besoin de solitude et de repos… Qu’est-ce que cela cache ? Qu’en pensez-vous, Valnais ?

Démoralisée, anxieuse, Mme Destol regardait Valnais avec détresse. Il était assis en face d’elle dans le boudoir de Nelly-Rose. C’était le lundi après-midi, date fixée par la jeune fille pour son retour, et tous deux l’attendaient.

Valnais, malgré les soucis que lui causait la conduite singulière de Nelly-Rose, voulait être optimiste.

— Chère madame, il est naturel que Nelly-Rose, après les profondes émotions qui l’ont bouleversée, ait désiré vivre quelques jours à l’écart. Nous allons la voir paraître d’un moment à l’autre. Elle vous expliquera tout, selon sa promesse.

— Dieu vous entende, Valnais ! Mais, malgré moi, voyez-vous, je me demande par moments si ce besoin de solitude n’a pas une autre explication.

— Quelle explication, chère madame ?

— Qui vous assure que Nelly-Rose n’a pas voulu rejoindre cet infâme Gérard et que, pendant que nous l’attendons ici, elle n’est pas avec lui, comme en ce matin épouvantable ?…

— Vous êtes folle ! cria sans respect Valnais bouleversé.

— Oui, ma pauvre tête s’égare… Mais, Valnais croyez-moi, on peut tout redouter quand il s’agit de faiblesses féminines et d’entraînements sentimentaux. Ainsi, tenez… (Elle allait citer un ou deux exemples tirés de ses aventures passées. Elle s’arrêta à temps et dit seulement.) Non, Nelly-Rose est incapable… je veux le croire… Mais, comme cette enfant est étrange et mystérieuse ! Que signifie cette allusion à la richesse qu’elle m’annonce pour nous ? Là non plus, je ne comprends pas.

— Je crois comprendre, moi, dit Valnais. Votre fille a décidé d’accepter ma demande en mariage. C’est la seule explication possible à la phrase de son pneumatique. Dans le bouleversement où ces dramatiques événements l’ont jetée, elle a compris la valeur de mon amour sûr, paisible, dévoué, qui lui fera une existence honorable et digne d’elle, entre vous, sa mère, et moi, son époux.

Il parlait avec conviction, mais cependant il était ulcéré en pensant à ce qui s’était passé en cette nuit mystérieuse du 8 au 9 mai, et à ce qui s’était passé depuis. Il n’aurait pas affirmé que Nelly-Rose eût commis des actes irréparables, mais il n’était pas sûr du contraire…