Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/60

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lais filer en Normandie. J’ai changé d’avis, moi aussi. N’est-ce pas mon droit ?

Gérard eut un rire sarcastique.

— Ah ! certes ! Un homme d’affaires comme toi a bien le droit d’avoir un rendez-vous inopiné à n’importe quelle heure. Car il s’agit bien d’affaires, n’est-ce pas, Baratof ?

Chacune des paroles que tous deux disaient était grosse de menaces. À cette question de Gérard, Baratof, ne pouvant plus se contenir, devint brutal.

— Il s’agit de mes affaires, mon petit… Et ça ne te regarde pas !

— Baratof, j’ai pour principe que toute affaire me regarde quand je m’y intéresse et que j’y ai été mêlé…

— Bigre ! Vraiment ? Eh bien, un bon conseil, et d’ordre général ! Ne t’occupe jamais de mes affaires.

Gérard rit encore.

— Mais dis donc, Baratof, tu es bien content que je m’en occupe de tes affaires, quand c’est pour aller risquer ma peau dans l’enfer russe et pour te gagner des millions.

— Nous partagions…

— Nous partagions ?… Pour toi, partager consiste à prendre tout !

— Allons, allons, tes poches ne sont pas vides…

Baratof ricana, et son ricanement exaspéra Gérard qui le saisit par le poignet.

— Ah ! tais-toi ! L’argent, tu le sais, je m’en fiche ! Je te laissais l’argent, mais j’avais les femmes, l’amour ! Si tu as réussi, grâce à moi, de vilains coups, d’énormes bénéfices inavouables, moi je me réservais les belles aventures. Chacun sa part… Et, ce soir, Baratof, tu veux prendre sur ma part. Rien de fait !

C’était enfin l’allusion directe à la rivalité qui les dressait l’un contre l’autre. Et Baratof, dégageant son poignet, fut plus franc encore :

— C’est donc ta part, Nelly-Rose ?

— Ah ! tu avoues donc qu’il s’agit d’elle ?

— Pourquoi pas ?

Gérard crispa les poings.

— Alors, les cinq millions, c’était pour l’acheter ?

— Et après ?

— Et tu comptes profiter de l’imprudence de cette enfant, de son offre folle ?…

— Et après ?…

Gérard s’avança jusqu’à le toucher…

— C’est monstrueux, articula-t-il, et tu te sers pour cela de l’argent que tu as volé. Oui, volé ! volé ! au point que j’étais décidé à ne plus jamais retourner là-bas avec toi… J’en ai assez, tu comprends ! Et aujourd’hui, je ne te laisserai pas commettre une infamie ! Je te barre la route !

— Trop tard !

— Trop tard ?… — Gérard haussa les épaules. — Allons donc ! tu ne la vois que demain…