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Troisième partie

I

Le boudoir de Nelly-Rose


Les yeux dilatés, les joues pâles, Nelly-Rose, haletante, restait immobile. Son cœur battait si fort qu’elle s’imaginait follement que celui qui venait de sonner devait l’entendre. Mille pensées confuses, rapides comme l’éclair, traversaient son esprit. Désemparée par ses récentes émotions, elle ne se défendait pas contre la peur nerveuse qui l’étreignait maintenant qu’elle était en face de l’événement, maintenant qu’il lui fallait ouvrir à cet homme… Mais, non, non, elle n’ouvrirait pas ! Elle n’avait qu’à ne pas ouvrir ! Il ne briserait tout de même pas sa porte pour entrer ! Oui, mais elle avait promis. Mais, pour tenir sa promesse, elle s’était enfuie d’Enghien où elle était en sûreté, et, en somme, sans reproches vis-à-vis de sa conscience puisqu’on l’avait emmenée de force et enfermée.

Et un espoir soudain traversa l’esprit de Nelly-Rose. Sans doute s’était-on rapidement aperçu de sa fuite. Sans doute sa mère, ses amis allaient-ils survenir…  « Mon Dieu, si maman pouvait arriver ! » se disait-elle avec une avide anxiété d’enfant qui a besoin de protection. Et Valnais lui-même, qu’elle prenait si peu au sérieux d’habitude, lui apparaissait à présent comme un sauveur. Que n’avait-elle accepté de l’épouser ? Tout plutôt que cette angoisse… que ces heures à passer auprès de cet inconnu.

Mais, Nelly-Rose, par un de ces revirements de pensée qui étaient la force de sa nature, se ressaisit soudain, et répéta une fois de plus cette phrase qui la soutenait : « Qu’avait-elle à craindre ? Contre un homme âgé, un vieillard sans doute, ne saurait-elle se défendre ? Et puis, les domestiques veillaient, dans l’appartement voisin, et avec un coup de sonnette… Vraiment, elle était ridicule de s’affoler ainsi !

Et comme le timbre, pour la seconde fois, résonnait, Nelly-Rose alla vers la porte qui donnait sur l’antichambre, l’ouvrit, traversa cette antichambre et avec résolution, mais d’une main qui, malgré tout, tremblait, tira le verrou de la porte d’entrée, fit jouer le pêne de la serrure et, sans ouvrir elle-même le battant, aussitôt revint à reculons vers son boudoir, crispée, regardant anxieusement qui allait paraître.

La porte d’entrée fut poussée lentement, et lentement aussi entra un homme de haute taille dont elle ne distingua pas les traits, car son chapeau était rabattu sur ses yeux, et le collet relevé du grand manteau qui l’enveloppait lui cachait le visage.

Sans le quitter du regard, Nelly-Rose s’était adossée au mur le plus éloigné du visiteur. Elle vit confusément dans l’antichambre obscure les gestes qu’il fit pour se dépouiller de son manteau et de son chapeau.

Alors, il parut au seuil du boudoir et s’arrêta là, en pleine lumière.

Nelly-Rose eut une exclamation de stupeur. Ce n’était pas un vieillard, jamais vu encore, qui était devant elle. C’était lui ! Lui, l’inconnu de la rue, l’inconnu de la branche de lilas… jeune, plein de force, d’aisance, et de grâce souriante. Et cette jeunesse, cette force, cette grâce même, épouvantèrent Nelly-Rose plus que ne l’eût épouvanté le plus affreux aspect, plus que ne l’avait épouvantée la brute du chemin d’Enghien.

Soudainement, elle se sentit en péril. Cet homme, l’après-midi, l’avait déjà troublée et inquiétée. À présent, surgissant là, ayant le droit d’y être, d’y rester, de par sa folle promesse, il la terrifiait. En lui se réunissaient les deux menaces suspendues sur elle depuis l’après-midi, la menace de l’homme au chèque, la menace de l’homme qui, si audacieusement, était venu chez elle. Elle éprouvait la détresse que doit éprouver l’oiseau fasciné. Brusquement, elle eut honte de ses bras, de ses épaules nus, prit sur un fauteuil une écharpe de soie et s’en enveloppa.