Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/81

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douteux, avait d’insolite. Elle ne savait plus que cet homme qui l’avait entraînée là, était un inconnu et qu’elle aurait dû se méfier.

Elle ne pensait pas. Elle était bien. Des sentiments, des sensations jamais éprouvées encore éveillaient en elle un désir de vivre ardemment, de vivre paresseusement aussi, et de se laisser aller aux confuses révélations d’une sensualité encore latente, mais atavique peut-être qui, à son insu, substituait en elle une femme, avide d’émotions de la femme, à la Nelly-Rose enfant qu’elle avait jusqu’alors été. Elle se trouvait bien dans les bras de cet homme, dans son étreinte qui se resserrait, à la fois forte et douce…

Et toujours à l’arrière-plan, cette sécurité menteuse… « Dans cette foule, qu’ai-je à craindre ? »

Gérard, avec sa sagacité de séducteur, l’observait. Il se rendait compte pleinement, lui, du succès de ses manœuvres. Il sentait que Nelly-Rose, dans ses bras, s’alanguissait et devenait une proie presque conquise déjà. Il respirait son parfum, plus chaud, plus personnel que l’après-midi, lors de leur première danse. Il voyait sous ses yeux, sous ses lèvres, la tête charmante de la jeune filles, ses yeux mi-clos dont les longs cils recourbés, sur les joues délicates, jetaient une ombre molle, sa bouche aux lèvres pures, entrouvertes sur les dents éclatantes. Il eût voulu s’incliner davantage sur elle, et baiser ces yeux, et baiser ces lèvres.

Jamais il ne l’avait autant désirée. Plus que jamais il était résolu à triompher sans délai, dès cette nuit, puisqu’il n’avait que cette nuit. Demain, tout serait découvert. Elle lui serait arrachée. Elle-même s’arracherait de lui… Mais maintenant elle était là, avec lui, à sa merci, sans personne pour la protéger contre lui. Et, sans scrupules, il en profiterait.

La valse prenait fin. Il ramena Nelly-Rose à la table que tous deux occupaient.

Comme ils y arrivaient, la jeune fille fut bombardée de boules de couleur et environnée de serpentins jetés par un groupe de cinq hommes, des Russes, qui occupaient la table la plus voisine de la leur.

Nelly-Rose ne s’en formalisa pas. Elle rit, et, sur son siège, se renversa.

— C’est amusant ici, dit-elle, d’une voix un peu voilée. Mais quelle poussière !…

Elle but encore quelques gorgées de champagne et, tout à coup, regardant son compagnon :

— Comment vous appelez-vous ?

Il tressaillit. Qu’est-ce que cela voulait dire ?

— Mais oui, continua-t-elle. Puisque Ivan Baratof n’est pas votre