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qu’il gardait la médaille sur lui. Je prétends qu’il la gardait, et qu’il la garde encore à la portée de sa main.

— Comment ?

— Oui, il a toujours fait en sorte de n’avoir, pour la saisir, qu’à tendre le bras.

— Impossible. Nous l’aurions vue.

— Non, puisque, tout à l’heure encore, vous n’avez rien vu.

— Tout à l’heure ?

— Oui, quand il s’en allait, forcé par l’ordre de son instinct, quand il s’en allait au jour même qu’il s’était fixé avant de tomber malade.

— Il partait, mais sans la médaille.

— Avec la médaille.

— On a fouillé la valise.

— Il ne partait pas seulement avec la valise.

— Avec quoi, alors, sacré nom ! Tu étais à plus de cent mètres de lui. Tu n’as rien vu ?

— J’ai vu qu’il tenait autre chose que sa valise.

— Quoi ?

— Goliath.

D’Estreicher se tut, frappé par ce simple mot et par tout ce qu’il signifiait.

— Goliath, continua Dorothée, Goliath qui ne le quittait jamais, Goliath toujours à portée de sa main, et qu’il tenait en s’en allant, qu’il tient en ce moment. Regardez-le. Ses cinq doigts se crispent sur le collier de la bête. Vous entendez, au collier !

Cette fois encore, d’Estreicher ne douta point. L’affirmation de la jeune fille lui sembla immédiatement correspondre à toutes les données que présentait la réalité. Cette fois encore, Dorothée apportait la lumière. En dehors de cette lumière, rien que ténèbres et contradictions.

D’Estreicher reprit tout son sang-froid. Sa volonté d’agir fut immédiate et, en même temps, il voyait clairement toutes les précautions à prendre pour réduire les risques de la tentative.

Il tira de sa poche une fine cordelette avec laquelle il ficela Dorothée et un foulard qu’il lui noua sur la bouche.

— Si tu t’es trompée, tant pis pour toi, ma chérie. Tu paieras ton erreur.

Et il ajouta, d’une voix sarcastique :

— Si tu ne t’es pas trompée, d’ailleurs, tant pis pour toi également. Je suis de ceux qui ne lâchent pas leur proie.

Il héla ses complices :

— Attention, vous autres ! Personne sur la route ?

— Personne.

— Ouvrez l’œil ! Dans trois minutes, nous partons. À mon coup de sifflet, rendez-vous à l’entrée du souterrain. J’emporterai la petite.

La menace, si terrible qu’elle fût, n’émut pas la jeune fille. Pour elle tout le drame se déroulait là-bas, sous ses yeux, entre d’Estreicher et le baron.

D’Estreicher descendit les Buttes en courant, traversa la rivière et s’élança vers le vieillard qui était assis sur un des bancs de la terrasse, la tête de Goliath posée contre ses genoux.

Dorothée sentit que son cœur battait éperdument. Non pas qu’elle redoutât la découverte de la médaille. La pièce d’or se trouvait dans le collier, elle en était sûre. Mais encore fallait-il que cet effort suprême pour arracher un dernier délai ne fût pas inutile.

— Si le canon d’un fusil n’apparaît pas au faîte du mur avant une minute, d’Estreicher est mon maître.

Et comme elle se serait tuée plutôt que d’accepter la déchéance, c’était sa vie qui se jouait dans l’espace de cette minute.

Le répit accordé par les circonstances fut plus long. D’Estreicher, s’étant jeté sur le chien, rencontra chez le baron une résistance inattendue. Le vieillard le repoussa avec fureur, tandis que Goliath hurlait et se dérobait à l’étreinte du bandit.

Le combat se prolongea. Dorothée en suivait les phases avec des alternances de crainte et d’espoir, encourageant de toute sa volonté le grand-père de Raoul, et maudissant l’énergie et l’obstination du bandit. Enfin le vieux baron se fatigua et parut tout à coup se désintéresser de ce qui pouvait advenir.

On eût cru que Goliath éprouvait la même impression de lassitude. Il se coucha aux pieds de son maître et se laissa toucher avec une sorte d’insouciance. De ses doigts dont on voyait le tremblement fébrile, d’Estreicher saisit le collier, sous l’épaisse toison, et tâta le cuir que hérissaient des têtes de clous. Ainsi l’agrafe fut-elle dégagée.

Mais il n’alla pas plus loin. Le coup de théâtre se produisait. Une silhouette maigre surgissait au haut du mur, et une voix criait :

— Haut les mains !