Page:Leblanc - Dorothée, danseuse de corde, paru dans Le Journal, 1923.djvu/50

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À tour de rôle, les quatre garçons et Dorothée s’asseyaient dans la roulotte près du chemineau. C’était un pauvre vieux, usé par la misère, dont les haillons ne tenaient que par des bouts de ficelle. Au milieu de la broussaille des cheveux et de la barbe inculte, les yeux cependant conservaient une certaine lueur, et, lorsque Dorothée l’interrogea sur son existence, il prononça cette phrase qui la confondit :

— Faut pas se plaindre. Mon père, qu’était rémouleur de grand-route, me disait toujours : « Hyacinthe (c’est mon nom), Hyacinthe, on n’est pas malheureux quand on est courageux. J’te donne le secret que m’a passé mon père à moi : « La fortune est dans le courage. »

Dorothée cacha son trouble et dit :

— L’héritage n’est pas lourd. On ne vous a laissé que ce secret ?

— Oui, expliqua l’homme très naturellement, oui, et puis un conseil : Aller, tous les ans, le 12 juillet, devant l’église de La Roche-Périac et attendre quelqu’un qui me donnera des mille et des cents. J’y vais chaque année. Je n’ai jamais reçu que des sous. Tout de même, ça soutient, cette idée-là. Et j’y serai demain, comme l’année dernière… et comme l’année prochaine.

Le bonhomme retomba dans ses réflexions. Dorothée se tut. Mais une heure plus tard, elle offrait l’abri du siège à la femme et à l’enfant au pied tordu, qu’ils avaient fini par rejoindre. Et, ayant interrogé cette femme, elle apprit que c’était une ouvrière parisienne qui s’en venait à l’église de La Roche-Périac pour que le pied de son enfant fût guéri.

— Dans ma famille, dit l’ouvrière, et du temps de mon père et de mon grand-père, on faisait la même chose : quand un enfant est malade, on l’amène le 12 juillet dans la chapelle de Saint-Fortunat à La Roche-Périac. C’est comme s’il était guéri.

Ainsi, par ces deux autres voies, la légende avait passé jusqu’à cette femme du peuple, et jusqu’à ce chemineau, mais une légende déformée, où il ne restait plus que des bribes de la vérité initiale. L’église remplaçait le château. Saint-Fortunat remplaçait la fortune. Seule la date du jour comptait, sans qu’il fût question du millésime.

Et chacun faisait un pèlerinage vers ces lieux dont tant de familles avaient attendu l’assistance miraculeuse. Aucune allusion à la médaille d’or.

Le soir, la caravane atteignit le village, et, tout de suite, Dorothée se renseigna sur le château de La Roche-Périac.

On ne connaissait sous ce nom que des ruines situées neuf kilomètres plus loin, au bord de l’océan, dans une petite presqu’île isolée.

— Couchons ici, décida la jeune fille. Nous partirons de bon matin.

Ils ne partirent pas de bon matin. Au milieu de la nuit, sous la grange où ils avaient remisé la roulotte, Saint-Quentin fut réveillé par une odeur de fumée et par des crépitements.

Il se leva. La grange brûlait. Il appela. Il cria au secours. Des paysans, qui, par un hasard heureux, passaient sur la route, accoururent.

Il était temps. Quand ils eurent tiré la roulotte, le toit s’effondra. Dorothée et ses camarades n’eurent aucun mal. Mais Pie-Borgne, à moitié roussie, refusa énergiquement de se laisser atteler, les brancards avivant ses plaies, et ce n’est qu’à sept heures que la roulotte s’ébranla, traînée par un mauvais cheval de louage et suivie par Pie-Borgne.

En traversant la place de l’Église, ils aperçurent, au bas du porche, l’ouvrière et son enfant à genoux, et le chemineau qui quêtait. Pour ceux-ci l’aventure n’irait pas plus loin.

Il n’y eut plus d’incidents. Sauf Saint-Quentin, assis sur son siège, ils dormirent tous dans la roulotte, assoupis les uns contre les autres. À neuf heures et demie, on stoppa. Ils arrivaient, devant une chaumière décorée du nom d’auberge, et sur la porte de laquelle on lisait : « Ici, la veuve Amouroux loge à pied, à cheval et en voiture. »

À quelques centaines de mètres, au bas d’une pente qui finissait en falaise peu élevée, la petite presqu’île de Périac allongeait dans l’océan cinq promontoires qui