Page:Leblanc - Dorothée, danseuse de corde, paru dans Le Journal, 1923.djvu/68

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Alors, pourquoi ne pas le questionner ?

Elle s’assit à ses côtés, prit ses mains qui étaient froides et moites, et lui dit gravement :

— Nous sommes accourus à votre appel… Nous sommes ceux à qui la pièce d’or…

Elle s’arrêta. Les mots ne venaient pas facilement à ses lèvres. Ils lui paraissaient absurdes et enfantins, et elle avait la certitude qu’ils devaient paraître tels à ceux qui les entendaient. Elle dut faire un effort pour reprendre :

— Dans nos familles, la pièce d’or a passé de main en main, jusqu’à nous… Voilà deux siècles que la tradition se forme, et que votre volonté…

Mais elle était incapable de continuer en ces termes pompeux. Une autre voix murmurait en elle :

— Dieu, que c’est idiot, tout ce que je dis !

Cependant la main de l’homme se réchauffait au contact de la sienne. Il avait presque l’air d’entendre le bruit des paroles et de comprendre qu’elles s’adressaient à lui. Et ainsi, renonçant à faire des phrases, Dorothée fut amenée à lui dire simplement, comme à un pauvre homme que sa résurrection ne mettait pas à l’abri des exigences humaines :

— Avez-vous faim ?… Voulez-vous mangez ?… boire ?… Répondez… Qu’est-ce qui peut vous être agréable ?… Mes amis et moi nous tâcherons…

Le vieillard, éclairé bien en face, la bouche ouverte, la lèvre pendante, gardait un visage morne et stupide que n’animait aucune expression, aucune convoitise.

Sans se retourner, Dorothée appela le notaire et lui dit :

— Maître Delarue, ne pensez-vous pas que nous devrions lui offrir la seconde enveloppe, celle du codicille. Sa conscience se réveillerait peut-être à la vue de ce papier, qui d’ailleurs lui appartient, et que nous devons lui rendre selon les termes de la lettre.

Me Delarue fut de cet avis et passa l’enveloppe à Dorothée, qui la tendit au vieillard en disant :

— Voici les indications que vous avez écrites vous-même pour retrouver les diamants. Nul ne connaît ces indications. Les voici :

Elle avança la main. Il fut manifeste que le vieillard essayait de répondre par un mouvement analogue.

Elle accentua son geste, il baissa les yeux vers l’enveloppe, et ses doigts s’ouvrirent pour la recevoir.

— Vous comprenez bien, n’est-ce pas ? dit-elle. Vous allez décacheter cette enveloppe ! Elle contient le secret des diamants. C’est d’une importance considérable pour vous. Le secret des diamants… Toute une fortune.

Une fois encore elle s’interrompit brusquement, comme frappée par une réflexion subite et par une remarque imprévue.

Webster lui dit :

— Certes, il comprend. Quand il ouvrira le papier et qu’il le lira, tout le passé revivra dans sa mémoire. Nous pouvons le lui donner.

George Errington appuya :

— Oui, mademoiselle, nous pouvons le lui donner. C’est un secret qui lui appartient.

Cependant Dorothée n’exécutait pas l’acte annoncé. Elle regardait le vieillard avec une attention extrême. Ensuite elle prit une lampe, se recula, se rapprocha, examina la main mutilée, et puis soudain partit d’un éclat de rire fou, qui jaillit avec la violence d’un rire trop longtemps retenu.

Courbée en deux, les bras serrés sur la poitrine, elle riait jusqu’à la souffrance. Sa jolie tête secouait par saccades ses cheveux aux boucles légères. Et c’était un rire si charmant, si jeune, d’une gaîté tellement irrésistible, que les jeunes gens éclatèrent à leur tour, tandis que Me Delarue, par contre, s’irritant d’une hilarité qui lui semblait déplacée en pareille circonstance, protestait d’une voix vexée :

— Vraiment, je m’étonne… Il n’y a rien de plaisant dans tout cela… Nous sommes en présence d’un événement extraordinaire…

Son air pincé redoubla les rires de Dorothée qui balbutia :

— Oui… extraordinaire… Un miracle !… Ah ! mon Dieu, que c’est drôle ! et comme