Page:Leblanc - Dorothée, danseuse de corde, paru dans Le Journal, 1923.djvu/92

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— Pourquoi entre vous ? dit-elle toute rieuse. Il n’y a pas que vous dans ma vie, en dehors de mes quatre garçons. J’ai des parents, des cousins, d’autres prétendants peut-être.

— Choisissez.

Le neuvième jour, pressée par eux, elle promit de choisir.

— Voilà, déclara-t-elle. Je vous mettrai tous sur un rang, et j’embrasserai celui qui sera mon mari.

— Quand ?

— Le premier jour du mois d’août.

— Jurez-le.

— Je le jure.

Désormais ils ne cherchèrent plus les diamants. Ainsi qu’Errington l’observa — et Montfaucon l’avait dit avant lui — les diamants qu’ils souhaitaient, c’était elle, Dorothée. Leur aïeul Beaugreval ne pouvait avoir prévu pour eux de plus magnifique trésor.

Le 24, au matin, Dorothée donna le signal du départ. Ils quittèrent les ruines de La Roche-Périac et dirent adieu aux richesses du marquis de Beaugreval.

— Tout de même, affirma Dario, vous auriez dû chercher, cousine Dorothée. Vous seule étiez capable de découvrir ce que personne n’a découvert depuis deux siècles.

Elle eut un mouvement d’insouciance et répliqua :

— Notre excellent aïeul a pris soin de nous dire lui-même où se trouvait la fortune. In robore… Soumettons-nous à sa décision.

Ils refirent les étapes qu’elle avait déjà parcourues, traversèrent la Vilaine, et s’engagèrent sur la route de Nantes. Dans les villages — il faut bien vivre, et la jeune fille n’acceptait l’assistance de personne — le cirque Dorothée donnait des représentations. Nouvelle cause d’ébahissement pour les trois étrangers. Dorothée faisant la parade, Dorothée sur la Pie-Borgne, Dorothée sur la corde raide, Dorothée apostrophant le public, que de scènes savoureuses et pittoresques !

Ils couchèrent deux nuits à Nantes où Dorothée désirait voir Me Delarue. Tout à fait remis de ses émotions, le notaire lui fit bon accueil, lui présenta sa famille et la retint à déjeuner.

Enfin le dernier jour du mois, partis de grand matin, ils atteignirent le Manoir-aux-Buttes dans le milieu de l’après-midi. Dorothée laissa la roulotte devant le portail avec les garçons, et entra, accompagnée des trois jeunes gens.

La cour lui sembla vide. Le personnel de la maison devait être employé aux champs. Mais, par les fenêtres ouvertes du Manoir, on entendait le bruit d’une discussion violente.

Ils approchèrent.

Une voix d’homme hargneuse et vulgaire, qui était, Dorothée la reconnut, la voix du sieur Voirin, l’usurier, scandait, rageusement, appuyée par des coups de poing sur la table :

— Il faut payer, monsieur Raoul, voici le contrat de vente, signé de votre grand-père. À cinq heures, le 31 juillet 1921, trois cent mille francs en billets de banque ou en titres sur l’État. Sinon, le Manoir est à moi. Il est quatre heures trois quarts. Où est l’argent ?

Dorothée entendit ensuite la voix de Raoul, puis la voix du comte Octave de Chagny qui offrait des arrangements.

— Pas d’arrangements, proféra l’usurier. Des billets de banque. Il est quatre heures quarante-huit.

Archibald Webster saisit Dorothée par la manche et murmura :

— Raoul… c’est un de nos cousins ?

— Oui.

— Et l’autre ?

— Un usurier.

— Offrez-lui un chèque.

— Il ne voudra pas.

— Pourquoi ?

— Il veut le Manoir.

— Enfin quoi, nous n’allons pourtant pas laisser commettre une pareille chose ?

Dorothée lui dit :

— Vous êtes un brave garçon, et je vous remercie. Mais croyez-vous que ce soit par hasard que nous soyons ici le 31 juillet à quatre heures cinquante minutes ?

Elle se dirigea vers le perron, monta les marches, et, ayant traversé le vestibule, entra dans la salle.

Deux cris répondirent à son apparition. Raoul s’était levé très pâle, Mme de Chagny accourait.

Elle les arrêta d’un geste.

Devant la table, le sieur Voirin, flan-