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L’ÉCLAT D’OBUS

« — Vous me détestez, n’est-ce pas ? Oh ! je ne l’ignore pas. J’ai l’habitude des femmes. Seulement, c’est le prince Conrad que vous détestez, n’est-ce pas ? C’est l’Allemand… Le vainqueur… Car enfin il n’y a pas de raison pour que l’homme lui-même vous soit… antipathique… Et, en ce moment, c’est l’homme qui est en jeu… qui cherche à plaire… Vous comprenez ?… Alors…

« Je m’étais mise debout, en face de lui. Je n’ai pas prononcé une seule parole, mais il a dû voir, dans mes yeux, un tel dégoût qu’il s’est arrêté au milieu de sa phrase, l’air absolument stupide. Puis, la nature reprenant le dessus, grossièrement il m’a montré le poing et il est parti en claquant la porte, en mâchonnant des menaces… »


Deux pages ensuite manquaient au journal. Paul était livide. Jamais aucune souffrance ne l’avait brûlé à ce point. Il lui semblait que sa pauvre chère Élisabeth vivait encore et qu’elle luttait sous son regard, et qu’elle se sentait regardée par lui. Et rien ne pouvait le bouleverser plus profondément que le cri de détresse et d’amour qui marquait le feuillet du 1er septembre.

« Paul, mon Paul, ne crains rien. Oui, j’ai déchiré ces deux pages parce que je ne voulais pas que tu aies jamais connaissance d’aussi vilaines choses. Mais cela ne t’éloignera pas de moi, n’est-ce pas ? Ce n’est pas parce qu’un barbare s’est permis de m’outrager que j’en suis moins digne d’être aimée, n’est-ce pas ? Oh ! tout ce qu’il m’a dit, Paul… hier encore… ses injures, ses menaces odieuses, ses promesses