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L’ÉCLAT D’OBUS
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apaisement d’aucune sorte. Il vécut, mais non pas tant pour ses enfants que pour entretenir en lui le culte de la morte et pour perpétuer un souvenir qui devenait sa seule raison d’être.

Incapable de retourner dans ce château d’Ornequin où il avait connu une félicité trop parfaite, et, d’autre part, n’admettant pas que des intrus pussent y demeurer, il donna l’ordre à Jérôme d’en fermer les portes et les volets, et de condamner le boudoir et la chambre de la comtesse de manière que nul n’y entrât jamais. Jérôme eut en outre mission de louer les fermes à des cultivateurs et d’en toucher les loyers.

Cette rupture avec le passé ne suffit pas au comte. Chose bizarre pour un homme qui n’existait plus que par le souvenir de sa femme, tout ce qui la lui rappelait, objets familiers, cadre d’habitation, lieux et paysages, lui était une torture, et ses enfants eux-mêmes lui inspiraient un sentiment de malaise qu’il ne pouvait surmonter. Il avait, en province, à Chaumont, une sœur plus âgée et veuve. Il lui confia sa fille Élisabeth et son fils Bernard et partit en voyage.

Auprès de sa tante Aline, créature de devoir et d’abnégation, Élisabeth eut une enfance attendrie, grave, studieuse, où la vie de son cœur se forma en même temps que son esprit et que son caractère. Elle reçut une forte éducation et une discipline morale très rigoureuse.

À vingt ans, c’était une grande jeune fille, vaillante et sans crainte, dont le visage, naturellement un peu mélancolique, s’éclairait parfois du sourire le plus naïf et le plus affectueux,