Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/81

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folle riait doucement et prononçait de petites phrases qu’elle adressait à Véronique comme si elle eût voulu la faire rire aussi.

« On ne les rencontre pas encore… ils s’apprêtent…

— Tais-toi donc, vieille folle, ordonna Gertrude, tu nous porterais malheur.

— Oui, oui, on va s’amuser… ça sera drôle… Moi, je porte une croix d’or autour du cou… et puis une autre à la main, taillée dans la peau avec des ciseaux… Regardez… Partout des croix… On doit être bien sur une croix… On doit bien dormir.

— Vas-tu te taire, vieille folle, répéta Gertrude, qui lui allongea une gifle.

— Entendu… entendu… mais c’est eux qui vont te frapper, je les vois qui se cachent… »

Le sentier, assez rude d’abord, gagna le plateau que formaient les falaises occidentales, plus hautes, mais moins déchiquetées et moins ravinées. Les bois étaient plus rares, les chênes étaient tous courbés par le vent du large.

« Nous approchons des landes, qu’on appelle les Landes Noires, déclara Clémence Archignat. Ils habitent là-dessous. » De nouveau Véronique haussa les épaules.

« Comment le savez-vous ?

— Nous savons plus de choses que les autres, dit Gertrude… On nous appelle les sorcières, et il y a du vrai… Maguennoc lui-même, qui s’y connaissait, nous demandait conseil sur tout ce qui est remède, sur les pierres qui portent bonheur, sur les herbes de la Saint-Jean…

— L’armoise, la verveine, ricana la folle… on la cueille au coucher du soleil…

— Sur la tradition aussi, reprit Gertrude. Nous savons ce qu’on dit dans l’île depuis des centaines d’années, et on a toujours dit qu’il y avait là-dessous toute une ville avec des rues où ils demeuraient au temps jadis. Et il y en a encore… J’en ai vu, moi qui vous parle. »

Véronique ne répondit pas.

« Mes sœurs et moi, oui, on en a vu un… Deux fois,