Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/90

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Mais tout de même il n’y a rien là de miraculeux et qui échappe aux règles de la vie ordinaire. »

Paroles inutiles ! Tentatives de raisonnement que son cerveau avait peine à suivre ! Au fond, ébranlée par des secousses nerveuses trop violentes, elle en arrivait à penser et à sentir comme tous ceux de Sarek qu’elle avait vus mourir, défaillante comme eux, secouée par les mêmes terreurs, assiégée par les mêmes cauchemars, déséquilibrée par tout ce qui restait en elle des instincts d’autrefois, des survivances, des superstitions toujours prêtes à remonter à la surface.

Quels étaient ces êtres invisibles qui la persécutaient ? Qui donc avait mission de peupler les trente cercueils de Sarek ? Qui donc anéantissait tous les habitants de l’île malheureuse ? Qui demeurait dans des cavernes, cueillait, aux heures fatidiques, le gui sacré et les herbes de la Saint-Jean, se servait de haches et de flèches, et crucifiait les femmes ? Et pour quelle besogne affreuse ? En vue de quelle œuvre monstrueuse ? Selon quels desseins inimaginables ? Esprits des ténèbres, génies malfaisants, prêtres d’une religion morte, offrant en sacrifice, et des dieux sanguinaires, hommes, femmes, enfants…

« Assez ! assez ! je deviens folle ! fit-elle à haute voix. M’en aller !… Que je n’aie plus d’autre pensée que de m’en aller de cet enfer !… »

Mais on eût dit que le destin s’ingéniait à la martyriser. Ayant commencé ses recherches pour découvrir quelque aliment, elle avisa soudain dans le bureau de son père, au fond d’un placard, une feuille de papier épinglée sur le mur, et qui représentait la même scène que le rouleau de papier trouvé dans la cabane abandonnée, près du cadavre de Maguennoc.

Il y avait, sur une des planches du placard, un carton à dessins. Elle l’ouvrit. Il contenait plusieurs ébauches de la scène, tracées également à la sanguine. Chacune portait, au-dessus de la première tête de femme, l’inscription V. d’H. L’une d’elles était signée Antoine d’Hergemont.

Ainsi c’était son père qui avait fait le dessin sur le