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l’image de la femme nue

Vous me connaissez, mon cher grand ami : j’ai vécu dans un délire sacré.

« Mais les plus beaux délires ont une fin, et j’ai été rappelé à l’ordre assez brutalement.

« Il faut vous dire tout d’abord qu’à l’hôtel je suis comblé de gentillesses. Chaque matin, on m’apporte quelques fleurs nouvelles, narcisses, jacinthes ou mimosa. L’après-midi en revenant de promenade, je trouve toujours de l’eau fraîche, du papier à lettres, un carnet de timbres. Bref, je m’aperçois que, pour un oui ou pour non, on s’introduit dans ma chambre, qu’on touche à mes papiers et qu’on range mes vêtements.

« Mais, d’autre part, vers le milieu de la semaine dernière, un soir, j’ai constaté que j’étais suivi dans la rue par une sorte de romanichel comme on en rencontre beaucoup dans le pays. Le lendemain et le surlendemain, même manège autour de moi, comme si on voulait savoir où j’habitais. Espion ? Mais à la solde de qui ? Je supposais plutôt la manœuvre d’un cambrioleur.

« Et cette hypothèse — assez absurde d’ailleurs — me fut confirmée lorsque, dans la nuit d’avant-hier, vers une heure, je fus réveillé par un léger grincement. On essayait d’entrer en tournant la clef dans la serrure. Ayant mis le verrou, je ne m’effrayais pas. Cependant, je courus à la porte et j’ouvris. Personne.

« Hier, je raconte l’aventure au garçon d’étage qui me répondit à juste titre que quelqu’un avait dû se tromper de chambre.

« — C’est mon avis, lui dis-je. Au cas, cependant, où il y aurait un cambrioleur dans la maison, avertissez-le que, cette nuit, je ne mettrai pas le verrou, mais que j’ai le sommeil très léger et qu’il risque gros.

« Cette nuit donc, je m’endormis comme à l’ordinaire. Et, comme l’avant-veille, nouveau grincement.

« La main sur la poire électrique, je ne bouge pas. Je me tais. Le battant est entre-bâillé avec précaution et livre passage à une silhouette, laquelle referme la porte.

« Avant d’allumer, j’attends. J’ai l’impression qu’une main tâtonne le long du mur et cherche le commutateur. Et, soudain, elle le trouve et c’est la lumière dans la chambre.

« Avant que le geste ne fût accompli, je m’étais levé, en pyjama, et m’étais élancé. Une femme est là, bouleversée sans doute, car elle tombe assise sur une chaise.

« — Qui êtes-vous ?

« Elle balbutie :

« — Ne faites pas de bruit… j’ai à vous parler.

« Elle est vêtue comme en plein jour, toute pâle, très brune de cheveux, un beau type d’Arlésienne.