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Des rivaux méprisables me furent préférés. J’ai eu ma bonne part d’humiliation et de trahison. Défaites incompréhensibles, mais qu’il faut noter si l’on veut que mon image soit rigoureusement authentique.

Voilà le motif pour lequel j’ai voulu que la présente aventure fût racontée, et qu’elle le fût sans détours ni ménagements. Je ne m’y distinguerai pas toujours par une agaçante infaillibilité. Mon cœur n’y soupire pas au détriment de ma raison. Mon pouvoir de séducteur est singulièrement mis en échec. Tout cela me vaudra peut-être l’indulgence de ceux que l’excès de mes mérites et de mes conquêtes horripile non sans motif.

Un mot encore. Joséphine Balsamo qui fut la grande passion de ma vingtième année, et qui, se faisant passer pour la fille du comte de Cagliostro, le fameux imposteur du dix-huitième siècle, prétendait tenir de lui le secret de l’éternelle jeunesse, ne paraît pas en ce livre. Elle n’y paraît pas pour une raison dont le lecteur appréciera de lui-même toute la force. Mais, d’autre part comment ne pas mêler son nom au titre d’une histoire sur laquelle son image projette une ombre si tragique et où l’amour se double de tant de haine, et la vengeance s’enveloppe de tant de ténèbres ?


Première partie

Le Second des Deux Drames

I

Sur la piste de guerre


Les belles matinées du mois de janvier, alors que l’air vif s’imprègne d’un soleil déjà plus chaud, comptent parmi les sources d’exaltation les plus vivifiantes. Dans le froid de l’hiver, on commence à pressentir un souffle de printemps. L’après-midi allonge devant vous des heures plus nombreuses. La jeunesse de l’année vous rajeunit. C’est évidemment ce qu’éprouvait Arsène Lupin en flânant, ce jour-là, sur les boulevards, vers les onze heures.

Il marchait d’un pas élastique, se soulevant un peu plus qu’il n’eut fallu sur la pointe des pieds, comme s’il exécutait un mouvement de gymnastique. Et, de fait, à chaque pas du pied gauche, correspondait une profonde inspiration de la poitrine qui semblait doubler la capacité d’un thorax dont l’ampleur était déjà remarquable.

La tête se penchait légèrement en arrière. Les reins se creusaient. Pas de pardessus. Un petit costume gris, de plein été, et, sous le bras, un chapeau mou.

Le visage, qui paraissait sourire aux passants, et surtout aux passantes, pour peu qu’elles fussent jolies, était celui d’un monsieur qui se dirige allégrement vers le poteau de la cinquantaine, si, même, il n’a pas franchi la ligne d’arrivée. Mais, vu de dos, ou de loin, ce même monsieur, fringant, de taille mince, très à la mode, avait le droit, de protester contre toute évaluation qui lui eût attribué plus de vingt-cinq ans.

— Et encore ! se disait-il en contemplant dans les glaces son élégante silhouette, et encore, que d’adolescents pourraient me porter envie !

En tout cas, ce qui eût excité l’envie de tous, c’était son air de force et de certitude, et tout ce qui trahissait chez lui l’équilibre physique, la santé morale et la triple satisfaction d’un bon estomac, d’un intestin scrupuleux et d’une conscience irréprochable. Avec ça, on peut marcher droit et la tête haute.