Page:Leblanc - La Cagliostro se venge, paru dans Le Journal, 1934.djvu/39

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— Excellente, docteur.

— Alors, il s’agit ?…

— D’un renseignement. Qu’est-ce que c’est que Félicien Charles ?

— Félicien Charles ?

— Vous ne lisez donc pas les journaux, docteur ?

— Pas le temps.

— Félicien est le jeune architecte que vous m’avez recommandé, il y a six ou huit mois.

— En effet, en effet… je me souviens…

— Vous aviez bonne opinion de lui ?

— Moi ? Mais je ne l’ai jamais vu.

— Cependant, il vous avait été recommandé, à vous aussi ?

— Sans doute… Mais par qui ? Voyons, laissez-moi réfléchir… Ah ! voilà, je me rappelle… Tiens, c’est même assez drôle. Eh bien ! j’avais, à cette époque, un domestique dont j’étais fort content… un homme d’un certain âge, intelligent, discret, qui me servait aussi un peu de secrétaire. Le jour où j’ai reçu votre dernière carte et que je lui ai dit d’inscrire votre adresse, il examina curieusement cette carte, comme s’il en connaissait l’écriture, et il déclara — et je m’en souviens parfaitement :

« — C’est un monsieur très chic, ce M. d’Averny. Monsieur le docteur devrait lui recommander ce jeune architecte dont j’ai servi les parents autrefois… et dont j’ai parlé à monsieur le docteur.

» Il tapa lui-même à la machine une lettre et me la fit signer. Voilà toute l’histoire. »

Raoul demanda :

— Vous ne l’avez plus, ce domestique ?

Le docteur se mit à rire.

— Je me suis aperçu qu’il m’avait dérobé une assez jolie somme et j’ai dû le renvoyer. Or, jamais je n’ai vu un tel désespoir : « Je vous en prie, docteur. Ne me jetez pas dans la rue… J’étais redevenu un honnête homme ici… J’ai peur de vous quitter… Ne me chassez pas. La mauvaise existence va recommencer. »

— Son nom, docteur ?

— Barthélemy.

Raoul ne sourcilla pas. Il s’attendait à ce nom.

— Ledit Barthélemy n’avait pas de famille ?

— Deux fils, deux chenapans, m’a-t-il avoué ce jour-là en pleurnichant. L’un surtout, qui traîne sur les champs de courses et dans les bars de Grenelle.

— Ses fils venaient le voir ici ?

— Jamais.

— Personne ne venait le voir ?

— Si, plusieurs fois, je l’ai surpris s’entretenant avec une femme, une femme de classe moyenne… mais affinée et royalement belle. Et un jour, il y a dix-huit mois, elle est venue me chercher, à moitié folle, et m’a conduit auprès d’un blessé, tout près d’ici.

— Vous pouvez me dire, docteur ?…

— Il n’y a aucune indiscrétion, car on en a parlé dans les journaux. Il s’agit d’Alvard, le célèbre sculpteur, vous savez, celui qui a exposé au Salon, l’an dernier, cette merveilleuse Phryné ? Mais, dites donc, ajouta le docteur en riant, j’espère que votre enquête ne cache aucun dessein ténébreux ?

Raoul s’en alla, tout songeur. Enfin, il tenait une extrémité du fil et déjà pouvait supposer l’accord entre le vieux Barthélemy, la Corse et Félicien, accord qui avait conduit Félicien au Vésinet.

S’étant informé, il se rendit chez le sculpteur Alvard, qui habitait à cinq minutes de distance, et lui fit passer sa carte.