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— Il n’en fait pas. Il garde sur son passé le silence le plus absolu.

— Et sur le présent ?

— Même attitude. « Je n’ai pas tué. Je n’ai pas volé. » Et si je riposte : « Mais alors, comment expliquez-vous ceci ? et cela ? » il déclare : « Ce n’est pas à moi d’expliquer. Je nie tout. » D’autre part, on a constaté qu’il ne recevait chez vous aucune correspondance.

— Aucune, dit Raoul. Et moi aussi, j’ignore tout de sa vie et de son passé. J’avais besoin d’un architecte et d’un décorateur. Un ami, je ne sais plus lequel, m’a donné son nom et son adresse. C’était l’adresse d’une pension de famille où il était de passage. J’ai écrit. Il est venu.

— Avouez, monsieur d’Averny, qu’il y a, autour de Félicien Charles, toujours la même atmosphère de brume, conclut M. Rousselain.

Le jour suivant, Raoul frappait à la porte des Clématites où le domestique lui dit que mademoiselle était dans le jardin.

Il la vit, en effet. Elle cousait devant la maison, silencieuse. Non loin d’elle, Jérôme Helmas, toujours en traitement à la clinique, mais qui commençait à sortir, était étendu sur une chaise longue et lisait. Il avait beaucoup maigri. Ses yeux cernés de noir, ses joues creuses trahissaient sa fatigue.

Raoul ne resta pas longtemps. Il trouva la jeune fille fort changée, au moral peut-être plus encore qu’au physique. Elle semblait absorbée et réfractaire à tout abandon. Elle répondit à peine aux questions qu’il lui posait.

Jérôme ne fut guère plus loquace. Il annonça son prochain départ, les docteurs lui ordonnant de finir l’été dans la montagne. Du reste, il n’avait plus le courage de s’attarder au Vésinet où tout ravivait sa douleur.

Ainsi, de quelque côté qu’il se retournât, d’Averny se heurtait aux mêmes obstacles. Instruction stagnante d’abord. Et puis, chez les êtres, le mutisme et la défiance. Félicien Charles, Faustine, Rolande Gaverel, Jérôme Helmas, tous se repliaient sur eux-mêmes, gardant leur secret, ou bien refusant de livrer leurs impressions et de contribuer à la découverte de la vérité.

Mais, le matin du jeudi suivant, une grosse partie devait se jouer. Thomas Le Bouc allait-il venir ? Est-ce que nul pressentiment, nulle réflexion ne l’avaient averti de la personnalité réelle du Gentleman et de la façon, somme toute équivoque, dont celui-ci avait cherché à le diriger vers le Clair-Logis. Durant ces deux jours, son esprit plus lucide n’avait-il pas éventé le piège ?

D’Averny espérait que non, et à l’heure dite, il envoya son chauffeur au lieu fixé, avec la conviction que Thomas Le Bouc, incapable de suspecter les divagations d’un ivrogne, serait fidèle au rendez-vous. Et puis, une raison plus puissante dominerait Le Bouc. Il avait tué le Gentleman. Ne serait-il pas enclin à vouloir que son crime lui rapportât autre chose que les quelques billets recueillis dans la poche de sa victime ?

De fait, il y eut un bruit de moteur que Raoul reconnut. L’auto entra dans le jardin. Raoul, qui s’était installé sur-le-champ dans son bureau, et qui avait donné ses instructions, attendit. La rencontre si vivement désirée par lui et amenée avec tant d’efforts allait se produire. Thomas Le Bouc, le seul homme qui pouvait le renseigner sur la machination ourdie contre Arsène Lupin, Thomas Le Bouc qui poursuivait l’exécution du plan qu’avaient