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cherches nécessaires, estimant qu’il ne pouvait y avoir une cachette plus sûre que celle qui inspirait tant de confiance au détenteur des billets. Ce qui fait la qualité d’une cachette, c’est que l’existence du trésor qui s’y trouve n’est connue de personne. Lupin, lui, la connaissait.

Avant tout, il devait se mettre en quête d’un architecte pour remettre en état le Clair-Logis. Le hasard le lui procura. Un jour, il reçut une lettre d’un docteur qui lui avait rendu jadis un inappréciable service[1], qui connaissait sa véritable personnalité, et qu’il tenait toujours au courant de ses avatars et de ses adresses successives. Le docteur Delattre lui écrivait :


« Cher ami,

» Je serais très heureux s’il vous était possible de vous occuper du jeune Félicien Charles, architecte diplômé, auquel je m’intéresse. Il a du talent… » etc.

Lupin fit venir ce jeune homme qui lui sembla timide, réservé, désireux de plaire, mais ne sachant comment y parvenir. Assez joli garçon, du reste, de vingt-sept à vingt-huit ans, intelligent et artiste. Il comprit fort bien tout ce qui lui était demandé et offrit même de faire toute la décoration du Logis et de remettre le jardin en ordre. Il habiterait le pavillon de gauche.

Et les mois s’écoulèrent.

Lupin ne vint guère plus de trois ou quatre fois. Il avait introduit Félicien Charles auprès des deux sœurs et se tenait ainsi au courant de ce qui se passait chez elles. Lui-même, d’ailleurs, se plaisait à leur rendre visite. L’aînée fut assez gravement malade d’une bronchite, ce qui retarda son mariage.

La cérémonie fut enfin fixée au 9 juillet. L’oncle Gaverel devant y assister, Lupin, qui voyageait en Hollande, résolut de revenir huit jours auparavant pour opérer l’escamotage des billets de banque.

Son plan était simple. Il avait remarqué que l’on pouvait, au bout d’un passage public qui conduisait entre deux murs jusqu’à l’étang, attirer la barque d’une propriété voisine. De la sorte, une nuit, il gagnerait le jardin de l’Orangerie et pénétrerait dans la maison.

Une fois en possession des liasses de billets, il reformerait le paquet pour lui redonner son apparence exacte. Il était hors de doute que Philippe Gaverel, durant les vingt-quatre heures qu’il se proposait de passer, non pas à l’Orangerie, mais chez les deux sœurs, se contenterait de voir si son paquet était bien à sa place, sans en vérifier le contenu. Le vol ne serait donc découvert qu’à la rentrée d’octobre.

Mais lorsque Lupin arriva un matin dans son automobile, un drame terrible, à rebondissements tragiques, s’était abattu, la veille, sur les rives paisibles de la petite pièce d’eau…


II

Tueries


Qu’il soit bien établi, tout d’abord, que le déjeuner qui précéda, à la villa des Clématites, l’effroyable douzaine d’heures où s’accumulèrent les péripéties du drame, fut, entre les deux jeunes filles et les deux jeunes gens que menaçait un destin si proche, d’une gaieté naturelle, légère, insouciante, mêlée de gentillesse et d’émotion amoureuse. Toutes les tempêtes ne s’annoncent pas par des signes précurseurs. Celle-ci éclata brusquement dans un ciel serein, sans qu’aucun pressentiment étreignît le cœur de ceux qui allaient en être les victimes effarées.

  1. Voir l’Aiguille creuse.