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boxeur ! Encore une fois, je vous félicite, étant donné surtout l’avantage de taille et de masse que possédait Jérôme.

Félicien eut un geste d’indifférence, et ouvrit la portière. Mais Raoul le retint.

— Vous m’étonnez toujours, Félicien. Quel drôle de caractère ! Vous aimez assez Rolande pour perdre la tête et pour l’enlever, et puis voila que vous l’abandonnez à votre adversaire sans plus vous soucier d’elle.

L’autre murmura :

— Ils sont fiancés.

— Eh bien ! justement, on lutte jusqu’au bout, quand on a l’avantage.

Félicien fit face à Raoul et lui dit, d’une voix polie ; mais très nette :

— J’aurais lutté jusqu’au bout, et j’aurais peut-être gagné la partie, si vous n’aviez pas pris fait et cause pour Jérôme. Vous aussi, monsieur, vous les considérez comme fiancés, et pour vous, je n’ai été que l’intrus… que l’on poursuit comme un voleur. Maintenant, il n’y a plus qu’à laisser aller les choses. Advienne que pourra !…

Paroles énigmatiques, comme l’étaient tous les actes des trois jeunes gens, comme l’était l’attitude de Rolande. Tandis que Félicien s’en allait, Raoul réfléchit longtemps ; des faits nouveaux s’enchaînaient à ceux dont il avait découvert la signification secrète, les confirmant ou les modifiant. D’autres suppositions nouvelles prenaient corps dans son esprit. La vérité devenait plus consistante, et plus logique. Rien de plus exaltant que ce déchirement des brumes !

Au lieu de revenir à Paris, il continua sa route, en obliquant vers le nord-ouest. Il se sentait allègre et ne pouvait s’empêcher de rire par instants et de monologuer gaiment à mi-voix :

« Alors, quoi ! un sportif ? un athlète complet ? Sous ces formes d’architecte uniquement soucieux de son travail, il y a donc des muscles des nerfs, une volonté, du courage, de l’audace ? Mais il est charmant, ce jeune homme ! Avec quelques leçons personnelles de jiu-jitsu, de boxe et de savate, j’en ferais un monsieur tout à fait honorable. Dis donc, mon vieux Lupin, en tant que fils, il ne serait pas si mal que tu le croyais ! Faudra voir ça, mon vieux Lupin. »

Raoul força l’allure. La vie s’éclairait. Décidément, les actions du jeune Félicien remontaient.

Nonancourt… Évreux… Lisieux… Vers huit heures, Raoul descendait dans un grand hôtel de Caen, faisait retirer du coffre de sa voiture une valise toujours prête, et dînait.

Le soir même, il commençait son enquête sur Georges Dugrival, l’ancien ami de Mme Gaverel, et le père supposé d’Élisabeth Gaverel.

On était au dimanche 12 septembre. Le samedi suivant, Rolande épouserait Jérôme Helmas.



IV

L’écrin bleu


Georges Dugrival avait toujours vécu dans une large aisance. Sa fortune, qui s’appuyait sur d’importantes participations dans des sociétés de mines et de forges normandes, lui permettait de s’intéresser à l’élevage et de posséder un haras et une petite écurie de courses régionales.

Il habitait, seul avec des domestiques, un vieil hôtel comme on en trouve encore dans l’antique et pittoresque ville de Caen. La façade, où se voyaient des sculptures de la Ré-