Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Donc, ennemi ?

— Non, monsieur, concurrent.

— Ennemi, insista Beaumagnan, et comme tel, exposé à…

— À être traité comme la comtesse de Cagliostro, interrompit Raoul.

— Vous l’avez dit, monsieur. Vous savez que la grandeur de notre but excuse les moyens que nous sommes parfois contraints d’adopter. Si ces moyens se retournent un jour ou l’autre contre vous, vous l’aurez voulu.

— Je l’aurai voulu.

Beaumagnan rappela le domestique.

— Reconduisez monsieur.

Raoul fit trois salutations profondes, et s’en alla le long du couloir, jusqu’à la porte au judas qui fut ouverte. Là il dit au vieux serviteur :

— Une seconde, mon ami, veuillez m’attendre.

Il revint alors vivement vers le bureau où les trois hommes conféraient, et, se plantant sur le seuil, le bouton de la serrure dans la main, sa retraite assurée, il leur jeta d’une voix aimable :

— À propos de cette fameuse lettre si compromettante je dois vous faire un aveu qui vous donnera toute tranquillité, c’est que je n’en ai jamais pris copie, et, par conséquent, que mon ami n’en peut pas posséder l’original. Du reste ne croyez-vous pas que toute cette histoire d’ami qui se promène aux environs de la Préfecture, et qui guette les trois quarts de quatre heures est bien invraisemblable ? Dormez en paix, messieurs, et au plaisir de vous revoir.

Il ferma la porte au nez de Beaumagnan et gagna la sortie avant que celui-ci eût le temps d’avertir son domestique.

La seconde bataille était gagnée.

Au bout de la rue, Joséphine Balsamo qui l’avait conduit chez Beaumagnan, attendait, la tête penchée hors de la portière d’un fiacre.

— Cocher, dit Raoul, gare Saint-Lazare, au départ des grandes lignes.

Il sauta dans la voiture et s’écria aussitôt, tout frissonnant de joie, l’intonation conquérante :

— Tiens, chérie, voilà les sept noms indispensables. Voici la liste. Prends-la.

— Alors ? dit-elle.

— Alors, ça y est. Deuxième victoire en un jour, et quelle victoire, celle-là ! Mon Dieu ! que c’est facile de rouler les gens ! Un peu d’audace, des idées claires, de la logique, la volonté absolue de filer comme une flèche vers le but. Et les obstacles s’abolissent d’eux-mêmes. Beaumagnan est un malin, n’est-ce pas ? Eh bien ! il a flanché comme toi, ma bonne Josine. Hein ? ton élève te fait-il honneur ? Deux maîtres de première classe, Beaumagnan et la fille de Cagliostro, écrasés, pulvérisés par un collégien ! Qu’en dis-tu, Joséphine ?

Il s’interrompit :

— Tu ne m’en veux pas, chérie, de parler ainsi ?

— Mais non, mais non, dit-elle en souriant.

— Tu n’es plus vexée pour l’histoire de tout à l’heure ?

— Ah ! fit-elle, ne m’en demande pas trop ! Vois-tu, il ne faut pas me blesser dans mon orgueil. J’en ai beaucoup et je suis rancunière. Mais, avec toi, on ne peut pas t’en vouloir bien longtemps. Tu as quelque chose de spécial qui désarme.

— Beaumagnan n’est pas désarmé, lui, fichtre, non !

— Beaumagnan est un homme.

— Eh bien ! je ferai la guerre aux hommes ! Et je crois vraiment que je suis fait pour cela, Josine ! oui, pour l’aventure, pour la conquête, pour l’extraordinaire et le fabuleux. Je sens qu’il n’est point de situation d’où je ne puisse sortir à mon avantage. Alors, n’est-ce pas, Josine, c’est tentant de lutter quand on est sûr de vaincre ?

Par les rues étroites de la rive gauche, la voiture courait bon train. On franchit la Seine.

— Et je vaincrai, Josine, dès aujourd’hui. J’ai tous les atouts en mains. Dans quelques heures, je débarque à Lillebonne. Je déniche la veuve Rousselin, et, qu’elle veuille ou non, j’examine le coffret en bois des Îles, sur lequel est gravé le mot de l’énigme. Et ça y est ! Avec ce mot-là, et avec le nom de sept abbayes, c’est bien le diable si je ne décroche pas la timbale !

Josine riait de son enthousiasme. Il exultait. Il racontait son duel avec Beaumagnan. Il embrassait la jeune femme, faisait des pieds de nez aux passants, ouvrait la glace, insultait le cocher dont le cheval trottait « comme une limace ».

— Au galop donc, vieux bougre ! Comment ! tu as l’honneur de traîner dans ton char le dieu de la Fortune et la reine de la Beauté, et ton coursier ne galope pas !

La voiture suivait l’avenue de l’Opéra. Elle coupa par la rue des Petits-Champs et la rue des Capucines. Dans la rue Caumartin le cheval prit le galop.

— Parfait ! cria Raoul. Cinq heures moins douze. Nous arriverons. Bien entendu, tu m’accompagnes à Lillebonne ?

— Pourquoi ? C’est inutile. Que l’un de nous deux y aille, c’est suffisant.