Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/68

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Deux jours le séparaient maintenant de la date à laquelle, en toute certitude, la personne inconnue qui possédait le coffret devait rencontrer la veuve Rousselin, et, comme celle-ci, captive ou malade, n’avait pu contremander le rendez-vous fixé, tout s’arrangeait pour que Raoul profitât d’une entrevue qu’il jugeait si importante.

Cette perspective l’apaisa. Il fut repris par le problème qui, depuis des semaines, s’imposait à lui, et dont il semblait que la solution devenait toute proche.

Pour ne rien laisser au hasard, la veille il visita le lieu du rendez-vous, et, le jeudi, lorsque, une heure auparavant, il traversa d’un pas alerte les bois de Tancarville, la réussite lui paraissait inévitable, et il en goûtait fortement la joie et l’orgueil.

Une partie de ces bois, indépendante du parc, s’étend jusqu’à la Seine et couvre les falaises. Des chemins rayonnent d’un carrefour central, et l’un d’eux mène par des gorges et des pentes brusques vers un promontoire abrupt, où se dresse, à moitié visible, le phare abandonné. Dans la semaine, l’endroit est absolument désert. Le dimanche, parfois, des promeneurs passent.

Si l’on monte au belvédère, c’est la vue la plus grandiose sur le canal de Tancarville et sur l’estuaire du fleuve. Mais, en bas, on était, à cette époque, enfoui dans la verdure.

Une seule pièce, assez grande, trouée de deux fenêtres, et meublée de deux chaises, composait le rez-de-chaussée, et ouvrait, du côté de la terre, sur un enclos d’orties et de plantes sauvages.

Aux approches, l’allure de Raoul se ralentit. Il avait l’impression, d’ailleurs tout à fait justifiée, que des événements importants se préparaient, qui n’étaient pas seulement la rencontre d’une personne et la conquête définitive d’un secret formidable, mais qui, somme toute, continuaient la bataille suprême où l’ennemi serait vaincu définitivement.

Et cet ennemi, c’était la Cagliostro — la Cagliostro qui connaissait comme lui les aveux arrachés à la veuve Rousselin, et qui, incapable de se résigner à la défaite, disposant de moyens d’investigation illimités, avait dû retrouver aisément ce vieux phare où il semblait que dût se jouer le dernier acte du drame.

— Et non seulement, dit-il à mi-voix, en se moquant de lui, je me demande si elle n’assistera pas au rendez-vous, mais, en réalité, j’espère bien qu’elle y sera, et que je la reverrai, et que, tous deux vainqueurs, nous tomberons dans les bras l’un de l’autre.

Par une barrière, scellée tant bien que mal aux pierres d’un petit mur bas que hérissaient des tessons de bouteilles, Raoul pénétra dans le clos. Au milieu des plantes sauvages, aucune trace. Mais on avait pu franchir le mur à un autre endroit et enjamber une des fenêtres latérales.

Son cœur battait. Il serra les poings, prêt à la riposte si on l’avait attiré dans un piège.

— Que je suis bête ! pensa-t-il. Pourquoi un piège ?

Il fit jouer la serrure d’une porte vermoulue et entra.

La sensation fut immédiate. Quelqu’un se dissimulait dans un renfoncement, aussitôt après la porte. Il n’eût pas le temps de se retourner contre l’assaillant. À peine averti, par son instinct plutôt que par ses yeux, il avait eu le cou sanglé d’une corde qui le tirait en arrière, tandis qu’un genou s’enfonçait brutalement dans ses reins.

Suffoqué, cassé en deux, il dut se soumettre à la volonté adverse, perdit l’équilibre, et fut renversé.

— Bien joué, Léonard ! balbutia-t-il. Jolie revanche !

Il se trompait. Ce n’était pas Léonard. L’homme lui apparaissant de profil, il reconnut Beaumagnan. Alors, tandis que Beaumagnan lui attachait les mains, il rectifia son erreur et avoua sa surprise par ces simples mots :

— Tiens, tiens, le défroqué !

La corde qui l’agrippait se trouvait reliée à un anneau rivé dans le mur opposé et juste au-dessus d’une fenêtre. Beaumagnan, qui agissait avec des gestes saccadés et une sorte d’égarement, ouvrit cette fenêtre et entrebâilla des persiennes pourries. Puis, l’anneau servant de poulie, il tira sur la corde et contraignit Raoul à marcher. Raoul aperçut dans l’entrebâillement