Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/77

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qu’un pour accomplir plus ou moins consciemment cette besogne : ce fut vous, mademoiselle. La veuve Rousselin vous prit en affection, à un tel point qu’il n’y avait plus à craindre de sa part le moindre acte d’hostilité. Pour rien au monde, elle n’eût trahi le père de la petite fille qui, de temps à autre, venait jouer chez elle. Visites clandestines évidemment, afin qu’aucun fil ne pût relier le présent au passé, visites qu’on remplaçait même quelquefois par des rendez-vous aux environs, au vieux phare ou ailleurs.

» C’est au cours d’une de ces visites que vous avez aperçu par hasard dans le grenier de Lillebonne le coffret que Raoul et moi nous cherchions, et par fantaisie que vous l’avez emporté chez vous, à la Haie d’Étigues. Aussi, lorsque Raoul et moi nous avons su, de la veuve Rousselin, que le coffret était en possession d’une personne qu’elle ne voulait pas nommer, que cette personne l’avait comblée de bienfaits, et qu’elles se rencontraient toutes deux à date fixe, nous en avons conclu sans hésitation qu’il nous suffirait de venir au vieux phare, à la place de la veuve Rousselin, pour découvrir une partie de la vérité.

» Et, en vous voyant apparaître, nous avons acquis la certitude immédiate que les deux assassins n’étaient autres que Bennetot et le baron d’Étigues, c’est-à-dire les deux hommes qui, depuis, m’ont jetée à la mer. »

Clarisse pleurait, les épaules secouées par ses sanglots. Raoul ne doutait pas que les crimes de son père ne lui fussent inconnus, mais il ne doutait pas non plus que l’accusation de l’ennemie ne lui montrât subitement sous leur véritable jour bien des choses dont elle ne s’était pas rendu compte jusqu’ici et ne l’obligeât aussi à considérer son père comme un assassin. Quel déchirement pour elle ! et comme Joséphine Balsamo avait frappé juste ! Avec quelle science effroyable du mal le bourreau torturait sa victime ! Avec quel raffinement, mille fois plus cruel que les tourments physiques infligés à la veuve Rousselin par Léonard, Joséphine Balsamo se vengeait de l’innocente Clarisse !

— Oui, disait-elle à voix basse, un assassin… Ses richesses, son château, ses chevaux, tout cela provient du crime. N’est-ce pas, Beaumagnan ? Tu pourrais, toi aussi, apporter ton témoignage, toi qui avais justement, et par cela même, pris sur lui une telle influence ? Maître d’un secret que tu avais dérobé, peu importe comment, tu le faisais marcher au doigt et à l’œil, et profitais du premier crime commis et des preuves que tu en avais pour l’obliger à te servir et à tuer encore ceux qui te gênaient, Beaumagnan… j’en sais quelque chose ! Ah ! bandits que vous êtes !

Ses yeux cherchaient les yeux de Raoul. Il eut l’impression qu’elle essayait d’excuser ses propres crimes en évoquant ceux de Beaumagnan et de ses complices. Mais il lui dit durement :

— Et après ? Est-ce fini ? Vas-tu t’acharner encore sur cette enfant ? Que veux-tu de plus ?

— Qu’elle parle, déclara Josine.

— Si elle parle, la laisseras-tu libre ?

— Oui.

— Alors, interroge-la. Que demandes-tu ? Le coffret ? La formule inscrite à l’intérieur du couvercle ? Est-ce cela ?

Mais que Clarisse voulût répondre ou non, qu’elle sût la vérité ou l’ignorât, elle semblait incapable de prononcer une parole et même de comprendre la question posée.

Raoul insista.

— Surmontez votre douleur, Clarisse. C’est la dernière épreuve, et tout sera terminé. Je vous en prie, répondez… Il n’y a là, dans ce qu’on vous demande, rien qui doive blesser votre conscience. Vous n’avez fait aucun serment de discrétion. Vous ne trahissez personne… En ce cas…

La voix insinuante de Raoul détendait la jeune fille. Il le sentit et interrogea :

— Qu’est devenu ce coffret ? Vous l’avez rapporté à la Haie d’Étigues ?

— Oui, souffla-t-elle, épuisée.

— Pourquoi ?

— Il me plaisait… un caprice…

— Votre père l’a vu ?

— Oui.

— Le jour même ?

— Non, il ne l’a vu que quelques jours plus tard.

— Il vous l’a repris ?

— Oui.

— Sous quel prétexte ?

— Aucun.

— Mais vous aviez eu le temps d’examiner l’objet ?

— Oui.

— Et vous avez vu une inscription à l’intérieur du couvercle, n’est-ce pas ?

— Oui.

— De vieux caractères, n’est-ce pas ? gravés grossièrement ?

— Oui.

— Vous avez pu les déchiffrer ?

— Oui.

— Facilement ?

— Non, mais j’y suis arrivée.