Page:Leblanc - La Demeure mystérieuse, paru dans Le Journal, 1928.djvu/111

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— Qu’est-ce que tu dis, Arlette ? fit d’Enneris avec émotion.

Elle était de nouveau toute rouge. Mais elle ne baissa pas les yeux et répliqua :

— Je dis ce que je ne peux pas cacher. Je dis ce qui domine toute ma vie, et que je n’ai pas honte d’avouer, puisque c’est vrai. Voilà ce que vous êtes pour moi. Le reste ne compte pas. Vous êtes Jean.

Il murmura :

— Tu m’aimes donc, Arlette ?

— Oui, dit-elle.

— Tu m’aimes… tu m’aimes… répétait-il, comme si cet aveu le déconcertait, et qu’il essayât de comprendre la signification de telles paroles. Tu m’aimes… C’était là ton secret, peut-être ?

— Mon Dieu, oui, fit-elle en souriant. Il y avait le grand secret des Mélamare… et puis le secret de celle que vous appeliez l’énigmatique Arlette, et c’était tout simplement un secret d’amour.

— Mais pourquoi n’as-tu jamais avoué ?…

— Je n’avais pas confiance en vous… je vous voyais si aimable avec Régine !… avec Mme de Mélamare !… avec Régine surtout… J’étais très jalouse d’elle, et par orgueil, par chagrin, je me suis tue. Une fois seulement, je l’ai rebutée. Mais elle n’en a pas su la raison… et vous non plus, Jean.

— Mais je n’ai jamais aimé Régine, s’écria-t-il.

— Je le croyais et j’en étais si malheureuse que j’ai accepté les offres d’Antoine Fagerault… par dépit… par colère… D’ailleurs, il me racontait des mensonges sur vous et sur Régine. Ce n’est que peu à peu, quand je vous ai revu chez les Mélamare, que j’ai compris.

— Que tu as compris que je t’aimais, n’est-ce pas, Arlette ?

— Oui, j’en ai eu l’impression plusieurs fois. Vous l’avez dit devant eux, et il m’a semblé que c’était vrai, et que tous vos efforts, tous les dangers que vous couriez… c’était à cause de moi. Me délivrer d’Antoine, c’était me conquérir pour vous… Mais, à ce moment, il était trop tard… les événements, plus forts que moi, m’entraînaient.

L’émotion de Jean croissait à chacun de ces aveux, prononcés si tendrement et avec tant de grâce.

— C’est à mon tour d’avoir peur, Arlette.

— Peur de quoi, Jean ?

— De mon bonheur… et peur aussi que tu ne sois pas heureuse, Arlette.

— Pourquoi ne le serais-je pas ?

— Parce que je ne puis rien t’offrir qui soit digne de toi, ma petite Arlette.

Il ajouta très bas :

— On n’épouse pas d’Enneris… On n’épouse ni Barnett ni…

Elle lui mit la main sur la bouche. Elle ne voulait pas entendre ce nom d’Arsène Lupin. Celui de Barnett aussi la gênait et peut-être même celui de d’Enneris. Pour elle, il s’appelait Jean, sans plus.

Elle articula :

— On n’épouse pas Arlette Mazolle.

Il protesta.

— Si, si ! tu es la créature la plus adorable, et je n’ai pas le droit de perdre ta vie.

— Vous ne perdrez pas ma vie, Jean. Ce qu’il adviendra de moi un jour ou l’autre, cela n’a pas d’importance. Non. Ne parlons pas de l’avenir. Ne regardons pas au-delà d’un certain temps… et d’un certain cercle que nous pouvons tracer autour de nous… et de notre amitié.

— De notre amour, veux-tu dire.

Elle insista.

— Ne parlons pas non plus de notre amour.