Page:Leblanc - La Demeure mystérieuse, paru dans Le Journal, 1928.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

voyez, cela n’a pas été bien grave, et vous retournez sans une égratignure. Mais, si j’ai un conseil à vous donner, c’est de ne pas souffler mot de ce que vous avez pu voir ou deviner. Vos diamants ont été volés. Un point, c’est tout. Oubliez le reste. Mes hommages respectueux.

L’auto fila rapidement. Régine ôta son voile et reconnut la place du Trocadéro. Si près qu’elle fût de son appartement (elle habitait à l’entrée de l’avenue Henri-Martin), il lui fallut un effort prodigieux pour s’y rendre. Ses jambes fléchissaient sous elle, son cœur battait à lui faire mal. Il lui semblait à tout instant qu’elle allait tournoyer et s’abattre comme une masse. Mais, au moment où ses forces l’abandonnaient, elle avisa quelqu’un qui venait en courant à sa rencontre, et elle se laissa tomber dans les bras de Jean d’Enneris, qui l’assit sur un banc de l’avenue déserte.

— Je vous attendais, dit-il, très doucement. J’étais certain qu’on vous reconduirait près de votre maison, dès que les diamants seraient volés. Pourquoi vous eût-on gardée ? C’eût été trop périlleux. Reposez-vous quelques minutes… et puis ne pleurez plus.

Elle sanglotait, tout à coup détendue et pleine d’une confiance subite en cet homme qu’elle connaissait à peine.

— J’ai eu si peur, dit-elle… et j’ai peur encore… Et puis ces diamants…

Un instant plus tard il la fit entrer, la mit dans l’ascenseur et la conduisit chez elle.

Ils trouvèrent la femme de chambre qui arrivait, effarée, de l’Opéra, et les autres domestiques. Puis Van Houben fit irruption, les yeux désorbités.

— Mes diamants ! vous les rapportez, hein, Régine ?… Vous les avez défendus jusqu’à la mort, mes diamants ?…

Il constata que le corselet précieux et que la tunique avaient été arrachés, et il eut un accès de délire. Jean d’Enneris lui ordonna :

— Taisez-vous… Vous voyez bien que madame a besoin de repos.

— Mes diamants ! Ils sont perdus… Ah ! si Béchoux était là ! Mes diamants !

— Je vous les rendrai. Fichez-nous la paix.

Sur un divan, Régine se convulsait avec des spasmes et des gémissements. D’Enneris se mit à lui baiser le front et les cheveux, sans trop appuyer, et d’une façon méthodique.

— Mais c’est inconcevable ! s’écria Van Houben, hors de lui. Qu’est-ce que vous faites ?

— Laissez, laissez, dit Jean d’Enneris. Rien de plus réconfortant que ce petit massage. Le système nerveux s’équilibre, le sang afflue, une tiédeur bienfaisante circule dans ses veines. C’est comme des passes magnétiques.

Et, sous les regards furibonds de Van Houben, il continuait son agréable besogne, tandis que Régine renaissait à la vie et semblait se prêter avec complaisance à cet ingénieux traitement.