Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/103

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spontané et bon enfant. L’accès de gaieté signifiait :

« Si je ris, c’est qu’il n’y a pas moyen de ne pas rire quand le destin vous met dans une situation pareille. »

Clara, en son effondrement de condamnée à mort, sembla si abasourdie par l’inconvenance de cet éclat, qu’il se précipita sur elle, la souleva dans ses bras, la fit tourbillonner avec lui, ainsi qu’un mannequin, l’embrassa passionnément, la serra contre sa poitrine, et en fin de compte l’étendit sur le lit en disant :

— Maintenant, pleure, ma petite, et, quand tu auras pleuré et que tu admettras que tu n’as aucune raison de te tuer, nous causerons.

Mais elle se redressa d’un bond et, le prenant aux épaules :

— Alors, tu me pardonnes ? tu m’excuses ?

— Je n’ai rien à te pardonner, et tu n’as pas d’excuses à faire.

— Si. J’ai tué.

— Tu n’as pas tué.

— Qu’est-ce que tu dis ? fit-elle.

— On n’a tué que s’il y a eu mort.

— Il y a eu mort.

— Non.

— Oh ! Raoul, que prétends-tu ? Je n’ai pas frappé Valthex ?

— Tu as frappé Valthex. Mais les bougres de cette sorte ont la vie dure. Tu n’as donc pas lu les journaux ?

— Non. Je ne voulais pas… J’avais peur de voir mon nom…

— Ton nom y est en toutes lettres. Mais cela ne signifie pas que Valthex soit mort.

— Est-ce possible ?

— Ce soir même, mon ami Gorgeret m’a déclaré que Valthex était sauvé.

Elle relâcha son étreinte et s’abandonna seulement alors à la crise de larmes qu’il avait prévue et par où tout son désespoir se répandait. Elle était couchée sur le lit et sanglotait comme une enfant, avec des gémissements et des plaintes.

Raoul la laissait pleurer et demeurait pensif, débrouillant peu à peu l’écheveau entremêlé de l’énigme sur laquelle la lumière s’était faite brusquement dans son cerveau. Mais que de points restaient encore obscurs !

Il se leva et marcha longuement. Une fois de plus il évoquait la première vision de la petite provinciale qui se trompait d’étage et entrait chez lui. Quel charme dans ces traits d’enfant ! Quelle candeur dans l’expression et dans la forme de cette bouche un peu entrouverte ! Et qu’elle était loin, cette petite provinciale, fraîche et ingénue, de celle qu’il voyait près de lui, se débattant sous les coups d’une destinée cruelle ! L’image de l’une et l’image de l’autre, au lieu de se confondre jusqu’à n’en plus faire qu’une, se détachaient maintenant l’une de l’autre. Les deux sourires se dissociaient. Il y avait le sourire de la petite provinciale et le sourire de Clara la Blonde. Pauvre Clara ! Plus attirante, certes, et plus désirable, mais si étrangère à toute idée de pureté !

Raoul reprit sa place sur le bord du lit et lui caressa le front tendrement.

— Tu n’es pas trop lasse ?

— Non.

— Cela ne te fatiguera pas de me répondre ?

— Non.

— Une question d’abord, qui résume toutes les autres. Tu savais, n’est-ce pas, ce que je viens de discerner ?

— Oui.

— Alors, Clara, si tu savais, pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? Pourquoi tant d’habileté, tant de détours pour me laisser dans l’erreur ?

— Parce que je t’aimais.

— Parce que tu m’aimais, répéta-t-il comme s’il n’apercevait pas le sens de cette affirmation.

Devinant sa douleur profonde, et pour l’adoucir, il plaisanta :

— C’est très compliqué, tout cela, ma chère petite fille. Si quelqu’un t’écoutait parler, il te croirait un peu… un peu…