Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/107

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— Ton amour ne devait pas t’empêcher de parler.

— Si, justement.

— Pourquoi ?

— J’étais jalouse.

— Jalouse ?

— Oui, tout de suite. Tout de suite j’ai senti que c’est par elle que tu avais été conquis, et non par moi, et que, malgré tout ce que j’ai pu faire, c’est encore à elle que tu pensais quand tu pensais à moi. La petite provinciale, disais-tu… C’est cette vision-là à laquelle tu t’es attaché, et tu la recherchais dans ma manière d’être et dans mon regard. La femme que je suis, un peu sauvage encore, ardente, d’humeur inégale, passionnée, ce n’était pas celle que tu aimais, mais l’autre, l’ingénue, et alors… alors je t’ai laissé confondre les deux femmes, celle que tu désirais et celle qui t’avait ravi dès la première minute. Tiens, Raoul, rappelle-toi, le soir où tu as pénétré dans la chambre d’Antonine au château de Volnic… tu n’as pas osé t’approcher de son lit. Instinctivement, tu as respecté la petite provinciale… tandis que, le surlendemain, après la soirée du Casino Bleu, instinctivement tu m’as prise dans tes bras. Et cependant, pour toi, Antonine et Clara, c’était la même femme.

Il ne protesta pas. Il dit, pensivement :

— Comme c’est étrange, tout de même, que je vous aie confondues !

— Étrange ? mais non, dit-elle. En réalité, tu n’as vu Antonine qu’une fois, dans ton entresol, et, le soir même, tu me voyais, moi, Clara, dans des conditions si différentes ! Par la suite, tu ne l’as plus retrouvée, elle, qu’au château de Volnic, où tu ne l’as pas regardée. C’est tout. Dès lors, comment l’aurais-tu distinguée de moi, tandis que tu ne voyais que moi ? Je faisais tellement attention ! Je t’in-