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— Soit, allons-y. Je t’accompagne. Et puis, après tout, le geste ne manque pas d’élégance. « Monsieur Gorgeret, c’est nous. Nous venons prendre la place de la jeune fille. » Et la réponse de Gorgeret, tu l’entends ? « La jeune fille, on l’a relâchée. Il y avait maldonne. Mais puisque vous voilà tous deux, entrez donc, cher amis. »

Elle se laissa convaincre. Il l’étendit de nouveau, et la berça contre lui. À bout de forces, elle s’abandonnait au sommeil. Cependant, elle dit encore, dans un effort de réflexion :

— Pourquoi ne s’est-elle pas défendue, et n’a-t-elle pas expliqué tout de suite ?… Il y a une raison là-dessous…

Elle s’endormit. Raoul s’assoupit également. Et il songeait, une fois réveillé, tandis que les bruits du dehors commençaient à renaître :

— Oui, pourquoi ne se défend-elle pas, cette Antonine ? Il lui aurait été si facile de mettre tout en lumière. Car elle doit comprendre maintenant qu’il y a une autre Antonine, une autre femme qui lui ressemble, et que je suis le complice et l’amant de cette autre femme. Or, il ne semble pas qu’elle ait protesté. Pourquoi ?

Et il songeait avec émotion à la petite provinciale si douce, si attendrissante, et qui ne parlait pas…

À huit heures, Raoul téléphona à son ami de l’île Saint-Louis :

— Rien de nouveau ?

— L’employée de la police est là. Elle pourra communiquer dès ce matin avec la prisonnière.

— Parfait. Écris un billet, de mon écriture, ainsi conçu : « Mademoiselle, merci d’avoir gardé le silence. Sans doute Gorgeret vous a-t-il dit que j’étais arrêté et que le grand Paul était mort. Mensonges. Tout va bien. Maintenant, vous avez intérêt à parler et à conquérir votre liberté. Je vous supplie de ne pas oublier notre rendez-vous du trois juillet. Hommages respectueux. R. »

Et Raoul ajouta :

— Tu as bien saisi ?

Ahuri, son ami affirma :

— Oui, très bien.

— Congédie tous les camarades. L’affaire est réglée et je pars en voyage avec Clara. Reconduis Zozotte dans son quartier. Adieu.

Il ferma le téléphone et appela Courville.

— Qu’on prépare la grosse auto, qu’on fasse les malles, et qu’on déménage tous les papiers. Le torchon brûle. Dès que la petite sera réveillée, tout le monde fiche le camp d’ici.


XIX

Gorgeret perd la tête

La conversation de M.  et Mme Gorgeret fut orageuse. Zozotte, ravie de trouver une occasion d’aiguiller la jalousie de son mari vers un personnage en quelque sorte imaginaire et fabuleux, fut assez cruelle pour attribuer à ce personnage toutes les qualités d’un gentleman raffiné, courtois, délicat dans ses procédés, plein d’esprit et de séduction.

— Le prince charmant, quoi ! grinça l’inspecteur principal.

— Mieux que ça, dit-elle, narquoise.

— Mais je te répète que ton prince charmant n’est autre que le sieur Raoul, l’assassin du grand Paul, et le complice de Clara la Blonde. Oui, c’est avec un assassin que tu as passé la nuit !

— Un assassin ? Mais, c’est très amusant ce que tu me dis là ! Je suis ravie.

— Coquine !

— Est-ce ma faute ? Il m’a enlevée !

— On n’enlève que qui veut bien être enlevée ! Pourquoi l’as-tu suivi dans son auto ? Pourquoi es-tu montée chez lui ? Pourquoi as-tu avalé des cocktails ?