Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/139

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peur… Allez-vous-en… Je n’oublierai pas…

Elle se tourna vers les ruines. Elle n’avait pas le courage de plonger ses yeux dans l’abîme et de voir Raoul, accroché aux aspérités de la falaise.

Et, tout en écoutant les voix rudes qui se rapprochaient, elle attendit le signal qu’il ne manquerait pas de lui envoyer pour la prévenir qu’il était sain et sauf. Elle attendit sans trop d’effroi, certaine que Raoul réussirait.

Au-dessous du terre-plein, des silhouettes passèrent, qui se baissaient et battaient les fourrés.

Le marquis appela :

— Antonine !… Antonine !…

Quelques minutes s’écoulèrent. Son cœur se serrait. Puis il y eut un bruit d’auto dans la vallée, et un bruit de sirène qui chantait joyeusement d’écho en écho.

Elle murmura, son beau sourire atténué de mélancolie, et les yeux pleins de larmes :

— Adieu !… Adieu !…

À vingt kilomètres de là, Clara se morfondait dans une chambre d’auberge. Elle se jeta sur lui, toute fiévreuse :

— Tu l’as vue ?

— Demande-moi d’abord, dit-il en riant, si j’ai vu Gorgeret et comment j’ai pu me soustraire à sa redoutable étreinte. Ce fut rude. Mais j’ai bien joué ma partie.

— Et elle ?… Parle-moi d’elle…

— J’ai retrouvé les colliers… et le projectile…

— Mais elle ?… Tu l’as vue ? Avoue-le ?

— Qui ?… Ah ! Antonine Gautier ?… Ma foi, oui, elle se trouvait là… un hasard.

— Tu lui as parlé ?

— Non… non… C’est elle qui m’a parlé.

— De quoi ?

— Oh ! de toi, uniquement de toi, elle a deviné que tu étais sa sœur, et elle désire te voir un jour ou l’autre…

— Elle me ressemble ?

— Oui… Non… Vaguement en tout cas. Je vais te raconter tout cela par le menu, ma chérie.

Elle ne lui laissa rien raconter ce jour-là. Mais, de temps à autre, dans l’automobile qui les emmenait vers l’Espagne, elle posait une question :

— Elle est jolie ? Mieux que moi, ou moins bien ? Une beauté de provinciale, n’est-ce pas ?

Raoul répondait de son mieux, un peu distraitement parfois. Il évoquait, au fond de lui, avec un plaisir ineffable, la façon dont il avait échappé à Gorgeret. En vérité, le destin lui était favorable. Cette évasion romantique, et qu’il n’avait réellement pas préparée, ignorant la manœuvre de Gorgeret, cette évasion à travers l’espace avait grande allure ! Et quelle douce récompense que le baiser de la vierge au frais sourire !…

« Antonine ! Antonine ! » répétait-il en lui-même.

Valthex annonça des révélations sensationnelles. Mais il ne les fit point, ayant changé d’avis. D’ailleurs, Gorgeret découvrit contre lui des charges tellement précises concernant deux crimes où la culpabilité de Valthex, alias le grand Paul, était démontrée, que le bandit s’affola. Un matin, on le trouva pendu.

De son côté, l’Arabe ne toucha jamais le prix de sa délation. Complice de ces deux crimes, il fut condamné aux travaux forcés et mourut au cours d’une tentative de fuite.

Peut-être n’est-il pas inutile de noter que, trois mois plus tard, Zozotte Gorgeret fit une fugue de quinze jours à la suite de laquelle elle réintégra le domicile conjugal sans donner la moindre explication à Gorgeret.

— C’est à prendre ou à laisser, lui dit-elle. Veux-tu de moi ?

Jamais elle n’avait été plus séduisante qu’au retour de cette expédition. Ses yeux étaient brillants. Elle rayonnait de bonheur. Gorgeret, ébloui, ouvrit les bras en demandant pardon.

Un autre fait, digne d’intérêt, doit être relaté. Quelques mois après, exactement à la fin du sixième mois qui suivit l’époque où la reine Olga avait quitté Paris en compagnie du roi, les cloches du royaume danubien de Borostyrie sonnèrent à toute volée pour annoncer un événement considérable. Au bout de dix ans d’attente, alors qu’aucun espoir ne demeurait, la reine Olga venait de mettre au monde un héritier.

Le roi parut au balcon et présenta l’enfant à la foule délirante. Sa Majesté rayonnait de joie et de légitime fierté. L’avenir de la race était assuré…


fin