Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/67

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Et, quand il avait fini, elle insistait :

— Parle… Raconte… Dis-moi tout ce que je sais déjà… Tiens, recommence toute ton aventure des ruines de Volnic avec Gorgeret, et les enchères dans le salon, et ta conversation avec le marquis.

— Mais tu étais là, Antonine !

— N’importe ! tout ce que tu as fait, tout ce que tu as dit me passionne. Et puis, il y a des choses que je n’ai pas bien comprises… Alors, c’est vrai, tu es monté la nuit dans ma chambre ?

— Dans ta chambre.

— Et tu n’as pas osé venir jusqu’à moi ?

— Fichtre non ! J’avais peur de toi. Tu étais terrible au château de Volnic.

— Et, avant, tu avais passé chez le marquis ?

— Chez ton parrain, oui. Je voulais connaître la lettre de ta mère, que tu lui avais remise. Et j’ai su de la sorte que tu étais sa fille.

— Moi, dit-elle d’un air pensif, je le savais déjà par la photographie de maman que j’avais trouvée chez lui, dans son bureau de Paris, tu te rappelles ? Mais cela n’a pas d’importance. C’est à toi de parler. Recommence… explique…

Il recommençait. Il expliquait. Il mimait. Il était tour à tour le ridicule et compassé maître Audigat, et l’inquiet, l’abasourdi d’Erlemont. Et il fut aussi la gracieuse et souple Antonine.

Elle protestait :

— Non, ce n’est pas moi… Je ne suis pas ainsi.

— Tu étais ainsi avant-hier, et la fois que tu es venue chez moi. Tu avais cette petite mine-ci, et cette autre… Tiens, comme ça…

Elle riait, mais ne cédait pas.

— Non… tu ne m’as pas bien vue… Voilà comment je suis.

— Mais oui, s’écriait-il, je sais comment tu es ce matin, avec tes yeux qui brillent et tes dents éclatantes… Tu n’es plus la petite provinciale de ce jour-là, ni la petite fille du château, celle que je ne voulais pas regarder mais que je devinais. Tu es différente, mais je retrouve ton air de réserve et de pudeur, qui ne change jamais, et je retrouve tes cheveux blonds que j’ai reconnus hier soir… et toute ta silhouette de grâce et de gentillesse dans ton costume de danseuse.

Elle ne l’avait pas quitté, son costume de danseuse, au corsage de rubans, et à la jupe bleue semée d’étoiles. Et elle était si désirable ainsi qu’il la saisit dans ses bras :

— Oui, dit-il, je t’ai devinée, parce que toi seule pouvais donner cette image de séduction. Mais, tout de même, comme je te cherchais sous ton masque ! Et comme j’avais peur quand je l’ai retiré ! Et c’était toi ! c’était toi ! Et ce sera encore toi demain, et toute la vie, quand nous serons loin d’ici.

On frappa légèrement.

— Entrez !

C’était le domestique. Il apportait les journaux, et quelques lettres, ouvertes au préalable et classées par Courville.

— Ah ! parfait, nous allons voir ce que l’on dit du Casino Bleu, de Gorgeret et du grand Paul… et aussi, sans doute, du bar des Écrevisses. Quelle journée historique !

Le domestique sortit. Raoul passa aussitôt aux nouvelles.

— Fichtre ! nous avons les honneurs de la première page…

Dès le premier coup d’œil sur le titre détaillé qui annonçait l’événement, il se rembrunit, sa gaieté tomba d’un coup. Il maugréa :

— Ah ! les idiots ! Faut-il que ce Gorgeret soit bête !

Et il lut, à demi-voix :

Le grand Paul, après avoir échappé à la police, au cours d’une rafle effectuée dans un bar de Montmartre, est arrêté à l’inauguration du Casino Bleu, et glisse de nouveau entre les mains de l’inspecteur principal Gorgeret et de ses agents.

— Ah ! fit-elle, atterrée, c’est effrayant !

— Effrayant ? dit-il. Pourquoi ? Il se fera reprendre un de ces jours… et je m’en charge…