Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Si, implorait la jeune femme en sanglotant… si… il se vengera.

— Qu’importe ! C’est une bête méchante… Il faut s’en délivrer… sinon, un jour ou l’autre, c’est à toi qu’il s’en prendra…

Elle ne cédait pas. Elle l’empêchait de frapper. Elle parlait de Jean d’Erlemont, qu’on n’avait pas le droit d’exposer à une délation.

À la fin, Raoul lâcha prise. Sa colère faiblissait.

Il dit :

— C’est bien. Qu’il s’en aille ! Tu entends, Valthex, fiche le camp. Mais si jamais tu t’avises de toucher à Clara ou au marquis, tu es perdu. Allons, déguerpis.

Valthex resta quelques secondes sans bouger. Raoul l’avait-il donc maltraité au point qu’il lui fallait reprendre son aplomb ? Il s’appuya sur son coude, retomba, fit un nouvel effort qui le porta jusqu’auprès du fauteuil, essaya de se mettre debout, parut perdre l’équilibre et s’abattit à genoux. Mais tout cela n’était qu’une feinte. En réalité, il n’avait d’autre but que de se rapprocher du guéridon. Brusquement, il plongea sa main dans le tiroir, saisit le revolver dont on apercevait la crosse et, poussant un cri rauque, se retourna vers Raoul et leva le bras.

Si imprévu, si rapide que fût le geste, il n’eut pas le temps de l’exécuter. Quelqu’un en devança l’effet, Clara, qui, se jetant entre les deux hommes, tira de son corsage un couteau qu’elle planta en plein dans la poitrine de Valthex, sans qu’il songeât à parer le coup et sans que Raoul pût intervenir.

Valthex parut d’abord n’avoir rien senti et n’éprouva aucune douleur. Son visage, cependant, jaune d’ordinaire, blêmit jusqu’à devenir tout blanc. Puis son grand corps se détira, immense, démesuré. Et d’un bloc, il s’effondra, le buste et les bras allongés sur le divan, avec un soupir profond que suivirent quelques hoquets. Et le silence, l’immobilité.

Clara, son couteau ensanglanté à la main, avait contemplé, avec des yeux hagards, cette sorte de déracinement et de chute. Quand Valthex tomba, Raoul dut la soutenir, et elle bégayait, épouvantée, anéantie :

— J’ai tué… J’ai tué… Tu ne vas plus m’aimer… Ah ! quelle horreur !

Il murmura :

— Mais si, je t’aimerai… je t’aime… Mais pourquoi as-tu frappé ?

— Il allait tirer sur toi… le revolver…

— Mais, ma petite… il n’était pas chargé… et je le laissais là… justement, pour le tenter et qu’il ne se servît pas du sien…

Il assit la jeune femme sur le fauteuil, la tournant de façon qu’elle n’aperçût pas le corps de Valthex.