Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/95

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À la fin, comme Raoul ne bronchait pas, Gorgeret gronda :

— Salaud !

— Goujat !

— Salaud de salaud ! continua Gorgeret.

Raoul riposta :

— Goujat de goujat !

Un long silence, qu’interrompit le préposé aux consommations.

— Deux cafés-crème, commanda Raoul.

Les deux cafés furent servis à ces messieurs. Raoul choqua gentiment sa tasse contre celle de son voisin, puis but à petits coups.

Gorgeret, malgré tout son effort sur lui-même, ne pensait qu’à sauter au collet de Raoul, ou à lui mettre sous le nez le canon de son revolver, actes qui faisaient partie de sa profession, auxquels il ne répugnait nullement, et que néanmoins il lui fut matériellement impossible d’accomplir.

En présence de l’odieux Raoul, il se sentait paralysé. Il se souvenait de leurs rencontres dans les ruines du château, dans le hall de la gare de Lyon, ou dans les coulisses du Casino Bleu, et tout cela l’enfonçait en une sorte d’anéantissement où il ne trouvait pas plus d’audace pour l’attaque que s’il eût porté une camisole de force.

Raoul lui dit, d’un ton de confiance amicale :

— Elle a très bien dîné… des fruits surtout… elle adore les fruits.

— Qui ? demanda Gorgeret, convaincu d’abord qu’il s’agissait de Clara.

— Qui ? je ne sais pas son petit nom.

— Le nom de qui ?

— De Mme Gorgeret.

Gorgeret parut la proie d’un vertige, et murmura d’une voix haletante :

— Alors, c’est bien toi, crapule ?… C’est toi l’auteur de cette infamie… l’enlèvement de Zozotte !…

— Zozotte ?… quel nom délicieux ! le petit nom que tu lui donnes dans l’intimité, hein ? Zozotte… ça lui va