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BROADWAY

de pommade et de poivre. En France j’aurais du premier regard classé cette personne. À New-York, elle bénéficia de mon ignorance. D’ailleurs, hypnotisée par un piano à queue qui tenait la moitié du salon, je vis tout à travers lui.

La grosse dame réclamait le paiement immédiat de quatre mois, soit mille dollars. Je m’inquiétai. Mon manager brusqua la conclusion — « Le journal ne vous comptera que la moitié de cette location. »

« — Mais pourquoi ? »

« — Parce que nous voulons votre bonheur. »

L’argument me laissa sans réplique.


Nous rentrâmes en flânant parmi l’éblouissement de Broadway, feu d’artifice commercial et céleste. Le chewing-gum représenté par une théorie de clowns bondissait dans les cieux, la gloire d’un nouvel extincteur tranchait la nue de fusées diamantées, un dragon de saphirs vomissait une fontaine de Jouvence d’un rouge insultant. Tous les points cardinaux crachaient de la folie devant les étoiles mortes et la lune éteinte.

Véral m’exposait enfin sa théorie de l’éclatement. Je m’y étais conformée sans comprendre depuis le jour où j’avais reçu de lui, sur le paquebot, le câble suivant — « Gardez arrivée rigoureusement incognito. » Ce câble était insolite. Je savais assez des habitudes américaines, et l’énorme importance que l’on donne à l’arrivée des vedettes, pour être surprise d’une telle recommandation, mais je me souvenais des dernières paroles de Véral à Paris : « Là-bas, je dirigerai vos affaires d’une manière tout à fait nouvelle, selon mon système de l’éclatement. »

J’avais voyagé sans fracas, emportant un poisson rouge et, dans une bonbonnière, un peu de terre de l’Abbaye de St. Wandrille. Lorsque, en vue de la Liberté, les reporters s’abattirent sur le pont comme des insectes, obéissant au câble, je pris la fuite. Ils foncèrent sur la cabine de ma compagne. Elle savait mal mentir : — « I don’t know Georgette Leblanc…