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LA MACHINE À COURAGE

obliques et fulgurantes. Alors nous descendions l’étroit escalier de fer qui nous menait à l’ascenseur.


Un matin, au petit jour, le janitor frappa à toutes les portes, hurlant — « Au feu ! Descendez ! » L’ascenseur fonctionnait frénétiquement. Les gens se bousculaient, je tombai. On me déposa dans la rue. J’oubliai ma souffrance en regardant le décor théâtral des pompiers américains — leitmotiv de la vie new-yorkaise. Plusieurs fois par jour un sinistre est signalé. Avec une surfièvre, une survitesse, le cortège fantasmagorique, traînant un matériel proportionné aux gratte-ciel, coupe la ville comme un bolide. On devine des centaines d’hommes en uniformes éclatants, des casques brillants, des cuivres, une cargaison étincelante. C’est à la fois guerrier, beau et joyeux. Pas de morts, grâce aux terrasses qui se succèdent. Des passerelles sont jetées et des échelles tendues. Tout est prêt comme un spectacle bien réglé. Qu’importe que le mobilier soit brûlé ou noyé — il y a les dommages-intérêts et le feu purificateur est béni. Les enfants américains, businessmen en herbe, pourraient modifier leur Pater :

« — Donnez-nous aujourd’hui notre feu quotidien. »

Je gardai de ma chute une entorse et restai couchée vingt et un jour.


J’étais encore sur une chaise longue quand on me prévint que la traduction était finie. Le jour même Véral et Read vinrent ensemble — de petits changements s’imposaient.

Pourquoi prenaient-ils un air si grave ? Je me mis à rire.

« Je changerai ce que vous voudrez, indiquez-moi ce que je dois faire. »

« — Impossible, s’écria Read, vous ne pouvez pas comprendre les exigences de l’esprit américain. Il faut nous laisser absolument libres. »

Pour la première fois, je vis s’allumer dans ses yeux un petit rayon jaune. En même temps j’entendis ma propre voix comme à travers une cloison.